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Le Liban vu de l'intérieur
comme de l'extérieur
Opinion d'experts et de lecteurs
La Tribune de libre expression:

La nouvelle carte américaine du Proche-Orient
par Charles Saint-Prot
*

Dès 1957, le Premier ministre israélien évoquait l'idée de dépecer le Liban sur des bases confessionnelles. Dans article publié, en février 1982, par la revue de l'Organisation sioniste mondiale Kivunim (Directions), sous le titre " Une stratégie pour Israël dans la décennie 1980 ", Oded Yinon, un journaliste israélien qui avait travaillé pour le ministère israélien des Affaires étrangères, exposait que la stratégie d'Israël devait consister à favoriser l'éclatement des pays arabes sur des bases confessionnelles ou ethniques. Il soutenait que le plan de décomposition du Liban en petits cantons confessionnels, à laquelle les israéliens travaillaient depuis la fin des années 60 avec la complicité de certains extrémistes maronites, devait être appliquée à tout le monde arabe, notamment à l'Irak (trois Etats sunnite, kurde et chiite), à la Syrie (trois Etats alaouite, druze, sunnite), à la Jordanie (une partie pour les bédouins et l'autre pour les Palestiniens) et à l'Arabie saoudite qui devait être amputée de ses provinces pétrolières et ramenée à une mosaïque tribale. Dans un entretien avec Paul Balta, dans Le Monde du 17 août 1982, un dirigeant irakiens, Tarek Aziz, prédisait " Pour que ce plan d'atomisation réussisse pleinement, il faut s'attaquer à la pièce maîtresse du dispositif, l'Irak, seul pays de la région qui possède en même temps l'eau et le pétrole et qui poursuit son développement avec détermination. Il faut donc commencer à ébranler l'Irak et c'est ce à quoi l'on s'emploie depuis plus de vingt ans …".
La théorie bien connue avancée, depuis longtemps, par les stratèges israéliens a été tout simplement reprise et actualisée par les cercles néoconservateurs qui inspirent la diplomatie de l'administration Bush. Le projet de remodeler le Proche-Orient par une politique de " chaos constructeur " fut conçu dans les années 1990 puis exposé par George Bush II lors d'un discours prononcé le 26 février 2003, quelques jours avant l'agression des Etats-Unis contre l'Irak. Connue sous le nom de l' " Initiative de Grand Moyen-Orient " (Greater Middle East Initiative), cette doctrine vise au remodelage d'un prétendu Grand Moyen-Orient regroupant un vaste ensemble d'Etats du Maroc à la frontière chinoise, avec les pays arabes, Israël, la Turquie, l'Iran, l'Afghanistan et le Pakistan.

Si cette théorie - qui tend tout simplement à asseoir, avec la participation d'Israël, l'hégémonie américaine dans cette partie du monde qui détient 65% des réserves de pétrole et près d'un tiers des réserves de gaz- a fait l'objet de nombreux commentaires, on a moins fait écho aux projets de redécoupages géographiques qui l'accompagnent. Pourtant, depuis le début des années 1990, les experts connaissaient l'existence de nouvelles cartes pour le " Grand Moyen-orient ". Dans sa livraison de juin 2006, la revue militaire états-unienne Armed Forces Journal, publie un article, signé par le lieutenant-colonel de réserve Ralph Peters, dont le titre est évocateur : How a better Middle East would look (" Comment améliorer le Moyen-Orient "). Selon Ralph Peters, un ancien spécialiste du renseignement et membre du think tank néoconservateur Project for the New American Century, les nouvelles frontières " doivent se remodeler en fonction du critère ethnique et confessionnel " et il propose à l'appui de sa thèse une nouveau redécoupage des frontières dont les grandes lignes sont les suivantes :

-constitution d'un " grand Liban englobant la côte méditerranéenne de la Syrie jusqu'à la frontière turque ; création d'un Etat kurde comprenant le nord de l'Irak, le nord-ouest de l'Iran et le sud-est anatolien ; éclatement de l'Irak qui, outre la perte de sa région septentrionale, serait divisé entre un petit Etat sunnite arabe et un grand Etat chiite qui annexerait la région saoudienne du Hasa (entre l'émirat de Koweït et la péninsule de Qatar), où les chiites ne sont d'ailleurs pas majoritaires, l'Arabistan (actuel Khouzistan iranien, peuplé d'Arabes… sunnites !) et la zone de Bouchir ; formation d'une grande Jordanie au détriment de l'Arabie saoudite, laquelle perdrait également la région des Villes Saintes de La Mecque et Médine (Etat autonome) et l'Asir (au profit d'un Yémen agrandi). Outre, sa région kurde, l'Iran perdrait le Baloutchistan qui deviendrait indépendant mais récupérerait la région Afghane de Herat. Le Pakistan serait considérablement réduit avec la séparation du Baloutchistan et une extension de l'Afghanistan dans les régions pachtounes. L'auteur reste prudent sur les nouvelles frontières d'Israël mais on comprend que toute perspective d'un Etat palestinien est exclue. Les deux grands perdants seraient l'Irak et l'Arabie saoudite, c'est-à-dire deux des plus importants pays arabes. Le monde arabe serait donc morcelé selon des découpages surréalistes qui conduiraient à des querelles et des divisions sans fins.
De fait, ce nouveau " Grand Moyen-Orient " conçu sur des découpages confessionnels, nationaux et ethniques très arbitraires ne serait pas plus sûr que l'actuel. Au contraire, il deviendrait une véritable poudrière. Mais cela ne semble pas perturber Ralph Peters qui déclarait dans une conférence prononcée en 1997 : " Le rôle imparti de facto aux forces des États-Unis consistera [dans le futur] à tenir le monde pour la sauvegarde de notre économie et ouvert à notre assaut culturel. À ces fins, nous devrons commettre un bon paquet de massacres ". Peters est également l'auteur d'une autre formule lapidaire qui résume bien l'idéologie des néoconservateurs :
" Gagner signifie tuer " (Armed Forces Journal, septembre 2006).

Selon le chercheur Pierre Hillard ( voir Balkans Infos, septembre 2006), " les propositions de Ralph Peters et les appels lancés à un changement radical des frontières du Moyen-Orient ne sont évidemment pas le résultat des réflexions d'un seul homme soucieux d'occuper son temps. De nombreuses études ont été lancées au sein des instances militaires américaines comme dans de nombreux think tanks appelant à revoir les limites frontalières de ces Etats ". A cet égard, il est notable que Ralph Peters est membres du Project for the New American Century, un think tank (groupe de réflexion) néoconservateur et pro-israélien présidé par William Kristol, dont l'objectif est la promotion de la domination mondiale américaine et qui rassemble les principaux dirigeants de l'administration Bush : Dick Cheney, vice-Président des Etats-Unis, Donald Rumsfeld, secrétaire à la défense, Elliot Abrams, émissaire de la Maison Blanche pour le Proche-Orient, Lewis Libby, un proche de Benyamin Netanyahou, et Paul Wolfowitz, actuel directeur de la Banque mondiale qui a été la cheville ouvrière de l'agression et de l'occupation de l'Irak.

* Directeur de l'observatoire d'études géopolitiques
OEG : 36, rue Scheffer 75116 Paris- etudesgeo@yahoo.com
Site Internet : www.etudes-geopolitiques.com



Après la deuxième guerre du Liban

Le Liban, sempiternel victime de ses guerres intestines ou pris en otage par des pressions extérieures contradictoires (Israël, Syrie, Iran) ! Face à ces deux approches, il faut admettre que le pays du Cèdre – meurtri durant l’été par une deuxième guerre du Liban intervenant quinze ans après une première guerre de quinze ans (1975-1990) – est une « caisse de résonance » régionale et internationale. De fait, le Liban porte le fardeau d’une évolution historique marquée par les épisodes sanglants du conflit israélo-palestinien, mais aussi par la montée en puissance de l’Iran, l’affaiblissement diplomatique du régime syrien, sans parler des inconséquences américaines qui ont exacerbé en Irak les fibres communautaires et religieuses.

Dans ce contexte, le Hezbollah n’est-il qu’une milice instrumentalisée de l’extérieur ou son désarmement annoncé sera-t-il à l’origine d’un État libanais autonome ? Pour une partie de l’opinion libanaise, notamment les partisans du printemps libanais de 2005, et plus largement de l’opinion arabe et musulmane, le Hezbollah, bras armé du chiisme libanais, plus proche d’un mouvement de guérilla que du terrorisme sacrificiel de la deuxième intifada, l’a emporté contre l’armée israélienne alors que les Palestiniens du Fatah et du Hamas ont échoué. Pour le pouvoir de Téhéran et la foule du Caire, sunnites et chiites, Arabes et Persans réunis, le Hezbollah symbolise la victoire contre l’Occident, Israël et l’Amérique de Bush. À l’inverse, le Hezbollah, dont la démilitarisation est réclamée par la résolution 1559, est pour d’autres le suppôt de l’Iran et de la Syrie, et il se comporte comme un mouvement terroriste à éradiquer comme les pays de l’« axe du mal ».
Cette double focalisation sur le Hezbollah empêche cependant de saisir la leçon majeure de la deuxième guerre du Liban : les limites dramatiques de l’unilatéralisme. Du côté israélien, cette stratégie a échoué tant à Gaza que vis-à-vis du Hamas de sorte que le retrait de la Cisjordanie est aujourd’hui différé. Se retirer de Gaza (2005), comme auparavant du Liban-sud (2000), exigeait de responsabiliser les acteurs concernés (l’autorité palestinienne puis le gouvernement élu du Hamas d’un côté, l’État libanais de l’autre). Or, des décisions de retrait unilatérales et non concertées, indissociables de la volonté de bunkérisation d’Israël que symbolise le Mur, ont renforcé le rôle des militaires aux dépens des politiques.

Comment l’État israélien peut-il encore refuser d’impliquer Palestiniens et Libanais sans lesquels une dynamique de pacification régionale ne pourra prendre forme ? Israël contribue à la déstabilisation quand il refuse, non sans l’aval doctrinal de la guerre d’exception américaine contre le terrorisme, d’entrer dans une négociation avec les acteurs régionaux. Si le militaire ne laisse pas la place à des perspectives politiques, le « chaos » se substituera à l’équilibre nucléaire de la guerre froide après le rêve momentané d’un ordre juridique mondial.
Mais la volonté de renoncer à une stratégie unilatérale, l’urgence de miser sur la négociation politique valent aussi pour la communauté chiite libanaise qui, au nom de la résistance victorieuse du Hezbollah, joue sur les deux tableaux du militaire et du politique par le biais du mouvement Amal dont le responsable, Nabih Berri, est président de l’Assemblée. Les propos du leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui oscille entre des regrets pour avoir suscité cette violence guerrière et des attaques en règle contre le gouvernement libanais, traduisent bien cette ambiguïté.

Qu’on le veuille ou non, du déploiement de l’armée libanaise à la frontière sud (résolution 1701) dépendra dans les prochaines semaines l’avenir de l’État libanais. Le Liban multiconfessionnel va-t-il éclater ou fait-il nation ? Beaucoup d’historiens le pensent tout en reconnaissant que le Liban est fragilisé par l’absence d’un État crédible. Mouvement national, distinct en cela d’un réseau terroriste déterritorialisé comme Al-Qaida, le Hezbollah, dont l’avenir ne peut passer que par le désarmement, sera porteur d’une donne inédite, bonne ou mauvaise, pour le Liban. Confronté aux dégâts de l’unilatéralisme et aux limites du multilatéralisme (les tergiversations de la France concernant son rôle au sein de la Finul en témoignent), l’avenir du Liban passe par la « constitution » d’un État libanais digne de ce nom. Telle demeure la revendication des animateurs du printemps de Beyrouth qui cherchent à dépasser les ambiguïtés du Pacte de 1943. Ni seulement otage des ennemis de l’extérieur (Israël, l’Occident américain, ou l’Iran, la Syrie selon les opinions), ni seulement dévoré de l’intérieur par des conflits surannés, le Liban doit vivre par lui-même et trouver sa place à l’échelle régionale. Mais lui laissera-t-on le temps d’inventer une paix politique et désarmée ? La survie du Liban préfigure l’avenir de la région.
Source: Revue Esprit Octobre 2006


Plus que – et avant – tout autre, la France
écoute et entend la légalité libanaise
L'article de Ziyad MAKHOUL
Quand un pays est en pleine opération de résurrection, de construction d’identité étatique, il a nécessairement, naturellement besoin d’aide, de conseils, d’appuis. Besoin, c’est le moins que l’on puisse dire, de quelqu’un, de quelque chose, qui, tout en lui montrant le chemin, tout en l’écoutant – et l’entendant, c’est plus utile… – reste à sa disposition pour marteler ses demandes là où ça compte, là où sa petite taille l’empêche de crier fort. Le mot tuteur a des résonances sinistres, grande sœur aussi : la France est donc la meilleure amie du Liban. Ce n’est certes pas un scoop, elle le prouve depuis bien longtemps ; sauf que depuis le 14 février 2005 et, encore plus, depuis le 12 juillet 2006, elle l’exhibe, cette amitié, cette volonté, chaque jour prouvée, de se tenir aux côtés d’un Liban meurtri, aux côtés, certes, du peuple libanais dans sa totalité, mais aussi, avant toute chose, de l’État libanais – de la légalité libanaise.
Des sources diplomatiques européennes font un constat simple et clair : Paris a deux objectifs depuis le début de la guerre de juillet. L’un est en voie de parachèvement : faire taire les canons. « C’est la première fois depuis longtemps qu’une résolution onusienne fait cesser une guerre. C’est une bonne chose que cette affirmation du multilatéralisme, du droit, pour régler une crise – sans compter que, pour une fois, Israël recourt aux Nations unies », estiment ces sources. L’autre n’en est qu’à ses débuts : il s’agit de l’affirmation de l’autorité de l’État, de sa restauration, de sa transformation en une entité forte, respectée, capable d’exercer toute son autorité sur l’ensemble de son territoire.
« La France a été la première sur tous les fronts. Politiquement et diplomatiquement d’abord. Dès le G8, Chirac a demandé la cessation des hostilités, condamné la réaction disproportionnée d’Israël, et commencé à travailler sur un texte à l’ONU capable de mettre un terme à cette guerre ». Ce qui a déclenché la naissance de la 1701 ? « L’annonce le 31 juillet par le gouvernement libanais du déploiement de l’armée sur tout le territoire. Cette décision stratégique a permis d’aller de l’avant, avec un objectif pour la France : coller au plus près des sept points de Fouad Siniora, sachant que la 1701 est loin d’être parfaite pour les Libanais, encore moins pour les Israéliens. » Ensuite, après le 14 août, Paris a demandé et travaillé « d’arrache-pied » pour la levée du blocus. Puis, « parce que Beyrouth l’a demandé », la France s’est attelée à presser l’ONU de mettre en place les modalités d’une surveillance navale des côtes libanaises « au profit de l’armée libanaise ».
Pour ces sources diplomatiques, tout ce que la France entreprend, « c’est à la demande de l’État libanais, un État souverain et que tout le monde veut fort, en partenariat avec lui », qu’elle le fait. « Rien n’est imposé, tout est proposé », résument-elles, avant d’évoquer les quatre objectifs politiques de Paris. Y aller par ces quatre chemins équivaut, tout d’abord, à consolider la cessation des hostilités par la mise en œuvre de tous les volets de la 1701. Et là, il y a des surprises : « Tout semble se faire beaucoup plus vite et plus facilement que cela n’avait été prévu », à commencer par le déploiement de l’armée et de la Finul Plus (qui a une mission « très claire »), ainsi que le retrait israélien. « Il y a une volonté française que le texte onusien embraye sur la réalité », soulignent les sources précitées, qui ajoutent que, parallèlement à tout cela, « il faut blinder la mise en place de l’embargo sur les armes pour les milices ; aller vers un désarmement de ces dernières, sur base d’un dialogue interlibanais, et régler la question des prisonniers et celle des fermes de Chebaa »… Pour, in fine, une fois toutes les dimensions de la 1701 prises en compte, « ce qui veut dire que le chapitre 8 de cette résolution doit être entièrement appliqué », avancer vers une ébauche de paix durable. Sans oublier le rapport Annan sur le suivi de l’application de cette 1701, et dans lequel le patron du Palais de Verre pourrait « proposer quelque chose concernant Chebaa ».
Pour la France, qui ne cesse d’appeler à la relance du quartette, cette paix durable implique de facto une solution globale aux problèmes proche-orientaux. « Paris voit un lien entre la stabilité du Liban et la question régionale ; il veut remobiliser la communauté internationale sur le sujet. » Et si on essayait de ne plus lier la stabilité sur les 10 452 km2 à la situation au P-O ? « On n’est malheureusement pas encore arrivé à sanctuariser le Liban ni à libaniser tous les Libanais. Il faut renforcer la souveraineté et l’indépendance du Liban, empêcher, comme l’a souligné le PM français, qu’il ne soit de nouveau le champ de bataille pour les guerres des autres. » La France est convaincue : « Dans ce pays, la majorité de la population a envie de stabilité, et souhaite que la communauté internationale accompagne son retour à la vie normale ; cette guerre n’a fait l’objet d’aucun consensus national. »
Et ces sources d’insister sur l’importance de donner, quelque part, du temps au temps. « La crise était extrêmement grave, Beyrouth aurait pu être détruite ; on ne peut pas régler une crise pareille en quelques semaines. Il y avait d’énormes craintes existentielles sur l’avenir de ce pays ; la France, par exemple, a ordonné la plus importante évacuation de Français depuis la guerre d’Algérie. Les conséquences auraient pu être bien plus catastrophiques, et il faut reconnaître que sans la détermination de la France, ce conflit aurait peut-être duré plus longtemps. Elle a entraîné tous les Européens, ainsi que la communauté internationale, et elle n’a pas été première seulement sur le plan politico-diplomatique, mais aussi humanitaire et militaire, sans oublier les aides d’urgence, la reconstruction, et l’économique. C’est vrai qu’elle a été la seule à projeter aussi vite. »
On est meilleure amie ou on ne l’est pas….


L'auto-défense version israelienne!


La plus importante usine de produits laitiers au Liban a été bombardée par l’aviation israélienne durant la nuit du 16 au 17 Jullet, a constaté un correspondant de l’AFP. Située dans la plaine de la Bekaa, l’usine Liban-Lait, qui fabrique sous licence de la société française Candia, a été complètement détruite et incendiée. «Le monde doit savoir qu’il y a de la part d’Israël une volonté délibérée de détruire l’économie, sous prétexte de vouloir éliminer le Hezbollah», a commenté Nabil de Freige un des propriétaires de cette usine. Il a évalué les pertes à 10 millions de dollars.Israel a également détruit l'usine Dalia dans le sud du pays, L’État comptait sur ces unités de production pour fournir des produits laitiers à la population. Israël a aussi totalement détruit tous les dépôts alimentaires de la société Procter & Gamble, l’un des plus gros importateurs au Liban.
Voilà l'argument de l'agresseur justifiant sans cesse son action par le droit à l'auto-défense sérieusement ébranlé...

Guerre de Juillet 2006

Attention à l'information orientée ou déformée...

Les agences de presse occidentales victimes consentantes
de la censure militaire israélienne?

À la demande du colonel Sima Vaknin-Gil, chef de la censure militaire israélienne, la presse occidentale a accepté de relayer une version tronquée des événements survenus ces derniers jours au Proche-Orient

Voici les faits :
le Hezbollah exige depuis de longues années la libération de prisonniers détenus par Israël, tel que Samir el Kantar, emprisonné depuis 1978, Nassim Nisr et Yahia Skaff qui est incarcéré depuis 1982. A de nombreuses occasions, il a fait savoir qu’il ne manquerait pas de faire prisonnier à son tour des soldats israéliens -si ci-ceux-ci venaient à s’introduire au Liban-, et de les utiliser comme monnaie d’échange. De manière délibérée, Tsahal a envoyé un commando dans l’arrière-pays libanais à Aïta al Chaab. Il a été attaqué par le Hezbollah, faisant deux prisonniers. Israël a alors feint d’être agressé et a attaqué le Liban. Le Hezbollah, qui se préparait à faire face à une agression israélienne que chacun savait imminente depuis le retrait syrien, a tiré des missiles de moyenne portée sur Israël.

En droit international, Tshal a violé la souveraineté territoriale du Liban (mais il est coutumier du fait par voie maritie et aérienne). Tandis que le Hezbollah s’est fait justice lui-même en lieu et place d’un État libanais qui n’a jamais été complétement rétabli depuis la guerre civile et l’occupation israélienne.

Sur injonction de la censure militaire israélienne, les agences de presse et médias ayant des journalistes accrédités en Israël ont renoncé à informer leurs lecteurs du lieu où les soldats israéliens ont été faits prisoniers. Ils n’ont pas pour autant menti, mais se sont abstenus.
La plupart des journalistes emploient le terme « enlèvement » pour désigner la capture des soldats israéliens. Ils assurent vouloir ainsi souligner que le Hezbollah n’est pas une armée régulière. Cependant les officiels israéliens emploient aussi le mot
« enlèvement », mais pour signifier le droit qu’ils s’arrogent de pénétrer sur le territoire libanais. En évitant soigneusement la clarification, les médias occidentaux valident un discours de propagande.

Emportés par cette logique, nos confrères ont également accepté de ne pas rendre compte des attaques du Hamas et du Hezbollah contre des cibles militaires israéliennes. Il s’ensuit que le public occidental n’est informé que des dommages collatéraux en Israël et des victimes civiles, alors qu’il suit les destructions stratégiques au Liban. Tout cela donne l’impression que « les Arabes » sont à la fois cruels (ils tuent des civils) et incapables (ils ne parviennent pas à toucher de cibles militaires), et que le sort de la guerre est connu d’avance.


Il faut sauver le Liban
DANS SON ENTRETIEN télévisé du 14 juillet, Jacques Chirac s’est demandé justement s’il n’y avait pas aujourd’hui une volonté de détruire le Liban. Et de fait, ce qui s’y passe depuis quelques jours y ressemble fort.
Mais de qui cette volonté ? Le Président ne l’a pas dit, mais tout le monde a compris qu’il s’agissait d’abord d’Israël, puisqu’en réponse aux provocations froidement délibérées du Hezbollah, Tsahal n’a pas hésité à bombarder plusieurs localités du Sud-Liban, ainsi que les quartiers chiites de Beyrouth faisant entre cent et deux cents morts.
C’est une constante de la politique israélienne, de Sharon à Olmert, que de tenir le Liban pour quantité négligeable, de l’instrumentaliser en toutes circonstances, et de ne le considérer que sous l’angle de la sécurité de sa frontière Nord.

L’opération « Paix en Galilée » (1982) n’était en vérité qu’une opération « Guerre en Phénicie », qui s’est traduite par l’occupation d’une partie du pays voisin, le carte blanche laissée aux Kataëbs chrétiens pour opérer les massacres de Sabra et Chatila, réponse "disproportionnée" à l’assassinat du Président Bechir Gemayel. Aujourd’hui, Israël prétend détruire les infrastructures du Hezbollah en terre libanaise mais comme c’est un objectif inaccessible,tant ces dernières sont imbriqués dans la population chiite, les bombardements israéliens sont en réalité une mise en demeure faite au gouvernement libanais de désarmer les milices du Hezbollah à la frontières sud du pays. Ce sont elles qui bombardent le nord d’Israël jusqu’à à Haïfa. Objectif légitime : le désarmement des milices est partie intégrante de la résolution 1559 d e l’ONU, qui faisait injonction à la Syrie d’évacuer ses troupes du Liban. Mais Israël ne peut ignorer que le gouvernement libanais n’a pas les moyens d’y parvenir. En vérité, ce que Israël demande au Liban, c’est bel et bien de rouvrir la guerre civile sur son propre sol, une guerre civile susceptible d’opposer les chiites (40%) au reste de la population.
S’il en avait eu les moyens, il y a longtemps que le gouvernement issu du printemps de Beyrouth aurait désarmé les milices du Hezbollah. Ce n’est pas le cas ; il s’est donc résigné à intégrer des représentants du chiisme en son sein.
Le deuxième ennemi de l’indépendance et de l’intégrité territoriale du Liban, c’est évidemment la Syrie. Contrainte d’évacuer ses troupes (avril 2005), elle n’en continue pas moins de considérer le Liban à la fois comme une partie de son territoire et comme une colonie d’exploitation. Elle veut une revanche. Elle n’a pas cessé de soutenir et d’armer le Hezbollah.
Ce dernier, en dépit des sentiments patriotiques de la population chiite, est l’instrument du troisième ennemi du Liban, à savoir l’Iran, dont l’ambition sur l’ensemble de la région a été comme déchaînée grâce à la liquidation par les Américains de son grand rival, Saddam Hussein. On le voit un peu plus chaque jour et un peu partout : le Président Bush n’a cessé, malgré qu’il en ait, de travailler depuis trois ans pour les ayatollahs iraniens et pour la constitution d’une internationale chiite dans l’ensemble du monde musulman. Joli travail de Gribouille.
N’importe.
En dépit de la coalition contre nature, mais redoutable, de ses ennemis complémentaires, il faut sauver le Liban. Tous ceux, dont je suis évidemment, qui considèrent que la sauvegarde d’ Israël est un impératif catégorique, devraient pour les mêmes raisons, ne pas tolérer que l’indépendance nouvellement conquise et la
sécurité du Liban à l’intérieur de ses frontières soient remise en cause. Israël et Liban sont deux Etats dont la superficie et la population sont comparables. Ce sont deux pays appuyés sur une forte diaspora. Mais le handicap du Liban est de ne pas disposer aux Etats-Unis même d’une diaspora aussi influente qu’Israël sur les électeurs et le personnel politique américain… Ce sont en outre les deux seules démocraties de la région, ce dont les Etats-Unis comme Israël lui-même paraissent se soucier comme d’une guigne. Ce sont enfin deux môles de résistance au monolithisme religieux et au fanatisme.
Paix pour le Liban ! Pour la France, qui a inventé ce pays, et qui en est la protectrice traditionnelle, il en va de son honneur ; il en va aussi de sa crédibilité à travers le monde.

par Jacques Julliard,
directeur délégué de la rédaction du Nouvel Observateur



Liban : la responsabilité de la communauté internationale
Aujourd’hui, la communauté internationale assiste dans la plus totale indifférence au massacre du Liban. Le problème n’est pas de savoir qui est responsable des événements mais bien de constater qu’il s’agit d’une guerre globale préparée depuis longtemps et répondant à des calculs non-libanais. Le Liban est, une fois de plus, pris en otage et victime d’opérations israéliennes qui visent d’autres objectifs que le prétexte allégué et sont manifestement disproportionnées et en totale violation du droit international. En effet, le droit international humanitaire exige que toute attaque soit soumise au principe de proportionnalité et soit limitée à l’usage de moyens et méthodes de combat adéquats au regard de l’objectif militaire visé. Tel n’est évidement pas le cas puisque les bombardements visent indistinctement des camions transportant des vivres et des médicaments, des ambulances, des maisons, des centres abritants des réfugiés (par exemple l’église du village de Aita al Fakhar, bombardée le 18 juillet), des sociétés de produits alimentaires ( par exemple, Liban-lait dans la Békaa), des quartiers populaires, des infrastructures civiles situées dans des régions où l’on n’a jamais vu un seul militant du Hezbollah, etc..

Ainsi, l’Etat israélien détruit méthodiquement tout un pays, en bafouant la légalité internationale et en frappant aveuglément toute une population menacée de catastrophe humanitaire. Dans ce contexte, la complicité des grandes puissances est évidente. Ce ne sont pas quelques gesticulations pharisaïques qui donneront le change car l’heure n’est pas à une pseudo action « humanitaire » mais bien à imposer d’urgence un cessez-le-feu et le respect de la souveraineté du Liban dont certains prétendaient se poser en défenseurs et en garants lorsqu’il s’agissait d’obtenir le retrait des troupes syriennes mais semblent s’accommoder de l’invasion et de la destruction du pays par Israël. Il est clair que toutes les grandes capitales ferment les yeux sur le massacre du Liban. Ce que voient les Libanais , comme les Palestiniens à Gaza, c’est le blanc-seing donné à la force brute d’un véritable terrorisme d’Etat par ceux qui ne manquent pourtant pas dans d’autres situations de donner des leçons. Ce que voient les peuples du monde, c’est qu’il est possible de piétiner toutes les valeurs humaines et le droit humanitaire sans que l’Occident ne daigne froncer les sourcils. Ce que nous voyons tous, c’est qu’il y a toujours deux poids et deux mesures entre un Etat, Israël, qui n’a pas respecté trente-deux résolutions du Conseil de sécurité et les autres que l’on peut tuer sans discernement.

Après l’invasion illégale de l’Irak, les événements tragiques du Liban marquent un nouveau recul de l’Etat de droit dans la société internationale. Ceux qui prônent la démocratisation des pays en développement font montre d’un extraordinaire cynisme en démontrant qu’ils sont peu soucieux de démocratiser et d’humaniser un nouvel ordre mondial où s’imposent de plus en plus la loi du plus fort et le mépris des peuples. Dans ce contexte, la responsabilité de la communauté internationale est considérable. On aura les conséquences : la montée en puissance de nouveaux extrémismes et l’élargissement du fossé entre les civilisations. Il est d’ailleurs significatif que cette dérive dangereuse se manifeste aux dépens d’un pays qui est par essence le symbole du trait d’union entre les religions et les cultures. En massacrant le Liban, c’est une certaine idée de l’humanité qu’on assassine !

Zeina el Tibi
Journaliste franco-libanaise
Codirectrice de la revue Etudes géopolitiques


Le Liban toujours victime de son environnement géo-politique


24.04.2006- Depuis quelques semaines, les politiciens libanais appartenant à des groupes aussi divers que le Hezbollah et les Forces libanaises chrétiennes se rencontrent périodiquement dans le cadre d'un «Dialogue national».
Après le retrait de l'armée syrienne qui a eu lieu l'année dernière, leur objectif est de forger un consensus sur l'avenir du Liban. Mais ce dialogue a surtout montré que la politique libanaise continue à se jouer hors du Liban.

Le régime syrien du président Bachar El Assad conserve une énorme influence sur l'État libanais, notamment en ce qui concerne les questions de sécurité, les services secrets, l'armée et la police, sans oublier son alliance avec la puissante milice du Hezbollah. Les soldats syriens ont quitté le Liban mais le régime d'El Assad ne s'est jamais résigné à ce départ et il cherche à reconquérir une certaine forme d'hégémonie sur le pays. La position de la Syrie est rendue plus difficile du fait de l'enquête de l'ONU, qui l'accuse d'être impliquée dans l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafiq Hariri, le 14 février 2005.

Les alliés libanais de Damas aimeraient améliorer les liens entre les deux pays mais le souvenir du meurtre de Hariri reste trop présent pour leur permettre de réussir. Les partis libanais sont seulement tombés d'accord sur le fait de ne pas laisser le pays servir de base pour menacer le régime syrien. De leur côté, l'Egypte et l'Arabie saoudite veulent à tout prix éviter la chute du régime d'El Assad. Officiellement ces deux pays se montrent favorables à l'enquête de l'ONU mais, en privé, leurs dirigeants ont lourdement insisté pour que le gouvernement libanais relâche la pression sur la Syrie.

Au Liban, les adversaires de Damas ont résisté à cette exigence mais l'attitude des Egyptiens et des Saoudiens montre bien que les dirigeants arabes ne souhaitent pas la chute des despotes de la région. L'approche de l'Egypte et de l'Arabie saoudite est radicalement différente de celle des deux puissances occidentales très influentes au Liban, les Etats-Unis et la France. Washington et Paris soutiennent l'enquête de l'ONU où qu'elle mène. Néanmoins, ces quatre pays conviennent que l'influence syrienne au Liban doit être contenue.

Ce qui explique qu'ils se montrent favorables, au moins en théorie, au désarmement du Hezbollah exigé par la résolution 1559 du Conseil de sécurité, même si leurs points de vue divergent sur la manière d'y parvenir. Un autre problème régional, celui de l'Irak et de l'escalade de la violence entre sunnites et chiites, a un impact sur la politique intérieure libanaise.

Les sunnites et les chiites libanais - les deux principales communautés du pays en raison de leur poids démographique et des relais dont elles disposent dans la région - sont loin d'en être à ce stade mais depuis peu la tension entre elles est littéralement palpable.

Hariri était le principal dirigeant politique sunnite, et après son assassinat, les deux communautés ont adopté à l'égard de la Syrie des positions diamétralement opposées. Le fossé entre chiites et sunnites au Liban illustre les divergences régionales encore plus vives qui existent entre les pays arabes à majorité sunnites ( notamment l'Arabie saoudite) soutenant Saad Hariri, le fils du Premier ministre assassiné, et l'Iran qui appuie le Hezbollah.

En Arabie saoudite, les chiites sont concentrés dans l'est du pays qui recèle l'essentiel des gisements pétroliers. Les Saoudiens, s'inquiétant à l'idée que la discorde entre chiites et sunnites en Irak ne s'étende à l'ensemble du monde arabe, encouragent Hariri à ne pas rompre le dialogue avec le Hezbollah, la principale force chez les chiites libanais.

L'Arabie saoudite et l'Egypte craignent que si l'Iran parvient à se doter de l'arme nucléaire, les chiites finissent par dominer la région. Entre-temps, la détérioration du climat entre Téhéran et Washington, du fait de la controverse nucléaire et du jeu iranien en Irak, a pour résultat que les pays arabes se retrouvent pris en sandwich.

Au même titre que les Libanais qui payeraient les conséquences d'une éventuelle attaque américaine ou israélienne contre les installations nucléaires iraniennes : le Hezbollah pourrait alors frapper Israël à partir du sud du Liban. Le Hezbollah interprète la résolution de l'ONU qui demande son désarmement comme un complot du gouvernement Bush pour l'affaiblir et afficher la suprématie américaine dans la région.

L'organisation chiite refuse de désarmer face à la «menace israélienne» mais le Hezbollah a si souvent modifié sa définition de cette menace que l'on peut se demander s'il acceptera jamais de déposer les armes. L'Iran étant soucieux de ne pas aggraver les tensions dans le pays, le Hezbollah a récemment accepté d'inscrire cette question sur l'ordre du jour des négociations de politique intérieure.

Mais il est peu probable que la discussion débouche sur un véritable désarmement, au moins à court terme. Enfin, les Libanais ne doivent pas seulement manœuvrer en fonction de considérations de politique régionale et internationale. Ils doivent aussi prendre en compte la politique intérieure américaine. Quel que soit le jugement sur la guerre en Irak, force est de constater que la présence américaine dans ce pays a aidé Beyrouth quand il s'est agi de déjouer les tentatives de la Syrie pour reprendre pied au Liban et, parallèlement les manœuvres de certains pays arabes pour contraindre le Liban à composer avec un régime qui ne s'accommode pas de sa souveraineté.

Si les Américains quittent l'Irak, ils risquent de se désintéresser de la situation libanaise. Dans cette hypothèse, qui d'autre que la Syrie et l'Iran en retireraient les bénéfices ? Un tel dénouement serait évidemment sans doute satisfaisant pour certains éléments de la société libanaise, en particulier le Hezbollah. Mais la grande majorité des Libanais aspirent à un Liban en paix, qui puisse se libérer de l'isolement international et se dégager de l'activisme caractérisant l'Iran et la Syrie. Le Liban a toujours été ballotté par les secousses de son environnement géo-politique.
Et, contre la volonté des Libanais, il risque, encore une fois, de servir d'arène à des conflits régionaux destructeurs.

* Michael Young est un analyste politique spécialisé dans le Moyen-Orient. Il est basé à Beyrouth.
Copyright: Project Syndicate, 2006.
site-web: www.project-syndicate.org


Une réponse au texte d'Amin Maalouf, "Contre la littérature francophone"
paru dans le "Le Monde des livres" du 10 mars


La francophonie est une chance,
par Alexandre Najjar*


J'ai lu avec intérêt l'article publié par Amin Maalouf dans les colonnes du "Monde des livres" (du 10 mars), où il considère que la notion d'"écrivain francophone" ne repose sur aucun critère défini et conduit à une sorte de ghetto en créant une discrimination inacceptable entre littérature française et littérature écrite par les étrangers en français. Cet article soulève des questions pertinentes (l'absence de critères précis, les réticences de certains à considérer les auteurs français eux-mêmes comme "francophones" ou leur refus d'inclure les écrivains francophones dans les traités de littérature française...) et exprime bien le malaise qu'éprouvent les écrivains étrangers installés en France et naturalisés français dans la mesure où leur intégration demeure incomplète à leurs yeux tant qu'ils sont qualifiés de "francophones".


Mais il n'est pas à l'abri de la critique : poussé à l'extrême, le raisonnement d'Amin Maalouf conduirait à abolir tous les particularismes et à faire abstraction de la langue et de la nationalité pour aboutir à une sorte d'écrivain sans passeport. Pour séduisante qu'elle soit, cette vision est utopique et va à l'encontre des efforts entrepris pour protéger la diversité culturelle (que Maalouf lui-même considère justement comme "notre première richesse") et s'opposer aux dangers connus de la mondialisation. En outre, la thèse de l'auteur du Rocher de Tanios reflète mal la réalité telle que nous l'éprouvons, nous autres, écrivains "francophones" ou "d'expression française" établis hors de France.

Dire d'un écrivain libanais, québécois, tunisien ou sénégalais qu'il est "francophone" n'est pas réducteur, bien au contraire : ce statut lui confère une certaine universalité en le plaçant, d'emblée, au sein d'un ensemble qui compte aujourd'hui une cinquantaine de pays francophones et lui permet de s'adresser à deux publics : "celui, immédiat, qui partage son univers référentiel, et un autre, plus éloigné, à qui il doit rendre sa culture intelligible", selon la formule de Lise Gauvin.

La francophonie apparaît plutôt comme une chance tant pour les écrivains étrangers que pour les Français eux-mêmes. Les premiers s'intègrent, du fait même de leur adoption de la langue française comme moyen d'expression et de communication, dans la vaste famille francophone et peuvent, à partir de cette tribune, mieux défendre leur identité culturelle et mieux transmettre les idées qui les préoccupent, sachant, du reste, que de nombreuses études relèvent des correspondances frappantes, aussi bien thématiques que stylistiques, entre les différents auteurs francophones ; les seconds trouvent dans ces écrivains venus d'ailleurs de nouvelles sources d'inspiration, des formes inédites d'expression, des images et des mots savoureux... Au demeurant, le "clivage" dont parle Amin Maalouf, lui-même lauréat du plus prestigieux prix littéraire français, n'est pas patent : il existe entre littérature francophone et littérature française une osmose permanente, une synergie féconde, un enrichissement mutuel.

Lors de son passage à Beyrouth en 1994, François Nourissier avait bien souligné cette idée : "De 1973 à 1993, cinq écrivains francophones de la Suisse, du Canada, du Maroc, des Antilles et du Liban ont obtenu le prix Goncourt. Il est certain qu'il y a là une volonté très claire... Cela est d'ailleurs bien accepté par les auteurs français et par le public. La littérature francophone peut être bénéfique à la langue française à deux niveaux. D'abord, au niveau de la langue. Le français est une langue assez fixe (...). De nouvelles façons d'écrire, des mots nouveaux empruntés à un autre langage peuvent l'enrichir (...). D'autre part, du point de vue de la richesse d'inspiration, la littérature francophone peut beaucoup nous apporter. Une des faiblesses du roman français contemporain, c'est quand même une certaine répugnance à traiter les grands problèmes : on fait de l'intimisme, on fait du laboratoire, on fait de la littérature de recherche, très cérébrale. Il n'y a plus d'équivalent aujourd'hui au travail de Zola, Flaubert ou Balzac ; il n'y a plus, sur les grands problèmes de la société française, une sorte de compte-rendu romanesque de grande qualité. C'est une inspiration que nous avons perdue. Or, il y a un souffle différent qui passe avec des écrivains qu'on va chercher un peu plus loin..." Pourquoi, dès lors, remettre en question l'idée de littérature "francophone", pourquoi semer le doute dans les esprits ?

L'indifférence affichée quelquefois à l'égard des littératures francophones n'est pas signe d'hostilité, mais de méconnaissance. Nous n'avons jamais éprouvé en France cette prétendue ségrégation vis-à-vis des auteurs francophones ; nous n'avons jamais perçu chez les Français la volonté de nous "exclure" sous prétexte que nous sommes "francophones". A l'heure où s'achève le Salon du livre de Paris, qui a réuni des dizaines d'auteurs ayant le français en partage, affirmer que la francophonie est un "outil de discrimination" est profondément injuste : elle est, et restera, un formidable espace d'échange, de fraternité et de dialogue.

Ces considérations faites, force est de constater que le véritable enjeu, aujourd'hui, est moins le statut des écrivains francophones que l'avenir de leur langue d'adoption, menacée, de moins en moins présente à l'étranger, marginalisée dans les domaines des nouvelles technologies de la communication et de la recherche scientifique. Comment organiser "le combat pour le français" ? Par quels moyens les instances de la francophonie entendent-elles consolider la place du français dans le monde ? Comment faire face à l'hégémonie d'une langue unique et aux dangers réels d'une pensée unique ? Il est heureux que des auteurs comme Claude Hagège ou Dominique Wolton se mobilisent, dans des ouvrages récents, pour réveiller les consciences et inciter le pouvoir politique à mieux défendre le français. Dans ce combat, les écrivains francophones seront assurément en première ligne. Car défendre la langue française, c'est, avant tout, se battre pour une certaine idée de la liberté.

* Ecrivain libanais francophone, Alexandre Najjar
est l'auteur notamment du Roman de Beyrouth (Plon, 2005).


Le Liban doit s'émanciper, par Georges Corm*

Depuis sa naissance dans l'ordre international en 1840, le Liban est un pays fragile et complexe. Entité tampon entre toutes les ambitions contradictoires au Moyen-Orient, il peine à maintenir le Pacte national défini au moment de l'indépendance, arrachée à la France en 1943 par des Libanais de toutes confessions religieuses. Ce Pacte reposait sur un non-alignement du Liban dans les querelles d'hégémonie sur la région (ni Orient ni Occident) ou dans les querelles interarabes, déjà vives à l'époque.
Malgré cela, le Liban n'a pas échappé aux tourbillons géopolitiques du Moyen-Orient. A quelques exceptions près, la culture politique des notabilités qui gouvernent le pays est restée prisonnière d'atavismes et de réflexes dus à la situation de pays tampon. Ces notabilités sont à la dévotion des ambassades des grands pays occidentaux, ou à la dévotion de certains gouvernements arabes puissants dans l'ordre régional (l'Egypte, l'Arabie saoudite et la Syrie). Elles peuvent changer leur fusil d'épaule avec une facilité déconcertante ou bien jouer double jeu entre différentes puissances actives. N'oublions pas, pour certains, anciens chefs de milice entre 1975 et 1990, la cruauté stupéfiante dont ils ont fait preuve dans les massacres et déplacements forcés de population et qui n'ont jamais fait l'objet du moindre jugement ou tout simplement, comme en Afrique du Sud, d'une repentance.
Les puissances qui ont voulu exploiter ces faiblesses de la classe politique libanaise et son aventurisme pour faire avancer leur cause dans cette région tourmentée du monde ont toujours fini par se lasser, car le Liban se transforme toujours en sables mouvants dont il est bien difficile de sortir. Le Liban, de son côté, a payé chaque fois le prix fort de telles interventions. D'ailleurs, c'est de guerre lasse et sous haute pression américaine que la "communauté internationale" a abandonné le Liban à la tutelle syrienne, une manière de récompenser la Syrie de sa participation à la guerre du Golfe, en 1991.
A l'initiative de la France, la "communauté internationale" a décidé en 2004 de mettre fin à cette tutelle syrienne. Le prétexte qui a conduit à la fameuse résolution 1559 du Conseil de sécurité de septembre 2004 a été l'extension du mandat du président de la République libanaise pour trois années. La résolution condamnait une telle extension ; de plus, elle exigeait le retrait de l'armée syrienne et le démantèlement de tout groupe armé, c'est-à-dire le Hezbollah et les groupuscules palestiniens demeurés au Liban après le grand exode de 1982 provoqué par l'invasion israélienne.
L'assassinat dramatique de Rafic Hariri, en février, dans le contexte de très grande tension créé entre Libanais et avec la Syrie par cette première résolution onusienne, a entraîné une accélération considérable des événements. La Syrie a retiré presque du jour au lendemain ses 14 000 soldats et ses services de sécurité stationnés sur le sol libanais. Dans ce contexte, malheureusement, plusieurs personnalités ont été victimes d'assassinats (et de tentatives d'assassinat) et des charges de dynamite ont explosé dans des centres commerciaux de différents quartiers chrétiens
de la banlieue de Beyrouth.

Suite à la résolution 1559, pas moins de huit autres résolutions ou déclarations du Conseil de sécurité sont venues internationaliser la "question libanaise" au cours de l'année écoulée. La dernière, la résolution 1636 d'octobre, crée, toujours autour de l'enquête internationale sur l'assassinat de Rafic Hariri, une "question syrienne", l'internationalise et la lie de facto à la question libanaise. C'est désormais l'ensemble syro-libanais qui est mis sous tutelle internationale, en réalité principalement celle des Etats-Unis, qui mènent une politique particulièrement agressive au Moyen-Orient depuis le début de la présidence de George Bush.
Les Libanais vivent, depuis plus d'un an maintenant, suspendus aux grandes manoeuvres internationales et au contenu des rapports de Detlev Mehlis, le procureur allemand chargé de la commission d'enquête sur l'assassinat de l'ancien premier ministre libanais, ou à ceux de Terje Roed-Larsen, diplomate norvégien, envoyé par Kofi Anan au Liban pour s'assurer de la bonne application de la résolution 1559.
Avec la résolution 1636, les Syriens ont rejoint les Libanais dans l'anxiété sur le sort réservé à leur pays. On rappellera ici que la Syrie, avant de se hisser au rang de puissance régionale sous la conduite habile, mais cruelle, d'Hafez El-Assad, dans les années 1970, avait été le pays le plus instable de la région, en proie aux divisions entre factions, entre communautés, sur fond d'oppositions sociales aiguës. De ce fait, elle était alors, tout autant que le Liban, exposée aux ambitions des puissances internationales et régionales ; les coups d'Etat militaires et tentatives de coup d'Etat ont caractérisé son histoire entre 1949 et 1969, date de la prise de pouvoir d'Hafez El-Assad.
Face à ce bilan, on peut légitimement s'interroger sur les motivations de tous ceux qui ont poussé à cette internationalisation du Liban, désormais liée à celle de la Syrie. Surtout dans un contexte où les tensions entre ces deux pays sont menées à un paroxysme et où les vieux démons des communautés et des factions peuvent se manifester à nouveau. C'est déjà chose faite au Liban, où les clivages entre pro et anti-occidentaux sont réapparus avec force.
Les élections bâclées de l'été au Liban sous l'égide des Nations unies et de l'Union européenne, sans l'adoption d'une loi électorale susceptible de permettre un changement plus que nécessaire dans la classe politique ; la constitution d'un gouvernement fragile basé sur des alliances contre-nature ; l'effacement total de la Chambre des députés ; la mise en cause agressive et à courte vue du rôle de la présidence de la République ; le rapport plutôt brouillon de la commission d'enquête des Nations unies qui a jeté en pâture des noms de hauts responsables libanais et syriens avant l'achèvement de l'enquête et sur la base de témoignages pas toujours crédibles ; les pressions locales et internationales sur le système judiciaire libanais dans cette même enquête : tout cela ne présage rien de bon.

C'est pourquoi il serait grand temps de calmer le jeu et de redonner une juste mesure aux événements dramatiques survenus depuis quatorze mois au Liban. L'assassinat de Rafic Hariri, si odieux qu'il soit, en étant transformé en une question internationale majeure, a entraîné une internationalisation chaotique du Liban et, dans son sillage, de la Syrie. S'il faut se féliciter du départ des troupes syriennes et de la fin du mandat de la Syrie sur le Liban, on ne peut que déplorer que la dernière résolution des Nations unies lie à nouveau le destin des deux pays, à travers les rebondissements de cette enquête qui désormais, à partir du Liban, va s'étendre à la Syrie, menacée des diverses sanctions et contraintes du chapitre VII de la Charte des Nations unies en cas de non-coopération avec la commission d'enquête qui siège à Beyrouth.

Si la communauté internationale désire punir les assassins ou le régime syrien, alors, qu'elle en fasse son affaire, dessaisisse la justice libanaise d'un dossier devenu international et qui, en conséquence, la dépasse. Il serait beaucoup plus prudent que la commission d'enquête siège aux Nations unies à New York, ou à Genève, ou à Chypre, et non plus sur le territoire libanais, où elle demande aux responsables présumés syriens de venir pour être interrogés, et éventuellement être transformés en inculpés. Cela ne peut que compliquer davantage les relations syro-libanaises. A trop vouloir libérer le Liban, on l'a encore exposé à de nouveaux dangers.

En fait, l'émancipation définitive du Liban de son statut d'Etat tampon dans la région exige que ce pays puisse jouir d'un statut similaire à celui qui a été fait à l'Autriche après la seconde guerre mondiale : une neutralité reconnue par tous ses voisins. Restant dans le giron de la Ligue arabe, le Liban verrait sa stabilité confortée par des garanties données par les Etats-Unis et Israël sur l'absence d'ambitions israéliennes sur le sud du pays et ses richesses hydrauliques, mais aussi sur le fait que le Liban ne subira pas de pressions pour l'implantation définitive des Palestiniens présents sur son sol et sur la fin de la violation quasi quotidienne de l'espace aérien ou maritime par l'armée israélienne ; des garanties obtenues de la Syrie qu'elle ne s'immiscera plus dans les affaires libanaises et ouvrira une ambassade à Beyrouth.

Le Liban, de son côté, pourrait assurer Israël qu'il reconnaîtra cet Etat et acceptera l'ouverture d'ambassades lorsque les autres pays arabes l'auront fait ouvertement ; il devrait, en parallèle, assurer la Syrie que désormais le Liban ou certaines de ses factions ne mèneront pas de campagnes de dénigrement de ce pays au profit d'autres Etats orientaux ou occidentaux. Les grandes puissances occidentales devraient de leur côté renoncer à leurs clientèles dans la classe politique libanaise et demander à leurs ambassadeurs en poste à Beyrouth d'avoir la même réserve sur les affaires intérieures du Liban que celle qu'ont leurs collègues dans les autres capitales du monde.

En bref, il faut que la communauté internationale aide le Liban à revenir aux principes mêmes de non-alignement qui ont constitué l'essence du Pacte national ayant uni les citoyens de toutes les communautés et leur ont permis, en 1943, d'obtenir leur indépendance. C'est ainsi que la phase actuelle d'internationalisation du Liban pourra déboucher sur une ère historique vraiment nouvelle pour ce pays. En ce moment, la "communauté internationale" ne fait que rendre le pays à son statut malheureux d'Etat tampon, et elle l'instrumentalise à son profit dans les interminables conflits qui rongent le Proche-Orient depuis bientôt deux cents ans. N'est-il pas temps que cesse ce théâtre de mauvais goût ?

* Consultant économique, Georges Corm a été ministre des finances du Liban. Il est notamment l'auteur du Proche-Orient éclaté : 1956-2003 (Folio, 2003).

Article paru dans l'édition du journal "Le Monde" du 24.11.05


Francophonie sans Français, par Anna Moï

A la veille de l'Année de la francophonie annoncée [pour 2006] par le président de la République, des émeutes font désordre dans ce beau paysage coloré des peuples francophones. Beau mais étroit : le français perd des locuteurs d'année en année dans le monde.

La puissance anglo-saxonne n'explique pas entièrement ce rétrécissement de la clientèle. L'anglais est certes le vecteur de communication de l'économie mondiale, mais aussi, il est la langue de plusieurs cultures : les Anglo-Saxons ont intégré le chromatisme des peuples qui contribuent à construire cette universalité. Et, de plus, ils auraient, comme les Français, un certain souci d'égalité et de justice. Allez ! Ils sont bien un peu racistes — "nobody's perfect". Par exemple, en 2004, ils recensèrent cent Britanniques remarquables. On constata qu'aucun de ces individus n'était d'origine ethnique.

Des voix s'élevèrent pour protester et cent Britanniques noirs remarquables furent répertoriés. Pas seulement des sportifs ou des musiciens de jazz ! On trouva une poétesse, un producteur de télévision, un syndicaliste. Un syndicaliste noir et noble. Des membres de la Chambre des lords.

Nul ne pensa à recenser des personnalités françaises remarquables, et donc encore moins des personnalités remarquables d'origines ethniques diverses. D'ailleurs, les personnalités françaises noires sont absentes en France : la différenciation ethnique est anticonstitutionnelle.

Dans le même ordre d'idées, il n'y a plus de littérature française, mais une littérature francophone. Je note cependant que mes romans, écrits en français et publiés par Gallimard dans la collection "Blanche", sont répertoriés dans le département de littérature vietnamienne à la Fnac. Les libraires anglo-saxons préfèrent classer les écrivains du monde entier par ordre alphabétique.

Il paraît qu'en Chine il n'existe pas de classes dans le train, mais seulement des couchettes dures, semi-molles ou molles ; en France, le classement des auteurs francophones n'obéit pas, selon la règle républicaine, à des critères de préséance liés, par exemple, à la naissance. On constate seulement qu'ils sont français, francophones de l'hémisphère Nord, ou francophones de l'hémisphère Sud issus de la colonisation.

Sur France-Inter, la journaliste Paula Jacques s'écria : "Ecrit directement en français ? Mais ce n'est pas une aliénation, ça ?" Oui, j'écris en français, comme Kazuo Ishiguro, Ben Okri, Arundhati Roy ou Salman Rushdie — lauréats du Booker Prize, le très prestigieux prix littéraire britannique — le font en anglais. Où est le mal ? Devrais-je dire plutôt : où est le bien ? J'avais toujours considéré chacune de mes langues étrangères adoptives comme une démultiplication de ma vie — ainsi en possédai-je six, ce qui n'est pas aliénant, mais dément.

Peut-on imaginer, un jour, une intégration des destinées polychromes dans le rayonnement francophone ? Assistera-t-on à la naissance d'un lectorat français sensibilisé par des questions d'enfance africaine, de conséquences de l'indépendance en Inde, de destinées tziganes, de castes ? Les amours illicites et fatales d'une Indienne du Kerala et d'un intouchable toucheront-elles autant les lecteurs français que les émois amoureux des acteurs du microcosme parisien ?

On me rétorquera : encore faut-il des écrivains francophones de cette qualité ! Je doute que les talents se recrutent exclusivement parmi les anciens administrés de la Couronne britannique. Je trouve suspecte l'idée d'une dégénérescence congénitale des héritiers de l'empire colonial français.

Récemment invitée au Festival du premier roman de Cuneo, où mon roman Riz noir (Gallimard, 2004) est récompensé du Prix du premier roman français, aux côtés des lauréats du Prix du premier roman italien, j'ai rencontré des francophiles enthousiastes, de Lecce à Turin, passionnés d'une littérature francophone sans frontières.
La francophonie sans les Français : un concept à suivre...

paru dans l'édition du journal "Le Monde" du 24.11.05



Crise des banlieues en France

Lettre ouverte à Jacques Chirac et à Dominique de Villepin

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre

J'ai publié ce printemps un petit livre intitulé "Israël un projet funeste" dans lequel je soulignais que la France était au bord de l'explosion, qu'elle était menacée d'une effroyable "guerre civile doublée d'une guerre de religion". Nous y sommes ! (Je me flatte d'être l'un des rares à avoir prévu l'explosion de Mai 68). Il serait grand temps que vous preniez conscience que le monde arabo-musulman s'étend désormais de l'Indonésie à la Seine-Saint-Denis, et qu'il traverse même la Manche jusqu'à Birmingham ! Les moyens de communication modernes, notamment internet, accroissent son audience. En pleine effervescence, il fait l'objet d'un enjeu planétaire entre les deux super-puissances qui se font face : les Etats-Unis et la Chine. De quel côté penchera l'Islam ? Vers l'Asie probablement, par solidarité anti-colonialiste. Vous allez me dire que nous sommes loin de la Seine-Saint-Denis... Pas du tout ! Nous en sommes en plein dedans : la mondialisation n'est pas seulement économique, elle est également politique, culturelle, militaire... et "terroriste" !
Ainsi nous découvrons que, "Israël" cet Etat inepte et mal placé, c'est le cas de le dire, sert de levier pour une mobilisation générale de l'islamisme - tout comme Dantzig le fut pour Hitler. Face à George W. Bush, au moment de l'agression américaine en Irak, vous vous êtes opposés, lors d'une séance mémorable à l'ONU, à la politique belliciste de Washington. Nous avons été très fiers, à ce moment-là, de la France. Je n'hésite pas à vous dire que pour mettre un terme aux violences des banlieues, prémices d'une guerre civile annoncée, il nous faut se tourner vers le Sud, vers la Méditerranée, afin d'y construire un vaste Marché Commun qui réunira les deux rives de Notre Mer dans un seul et même avenir, en apportant à chacun un emploi et un logement... de chaque côté de la Mer !
Pour réaliser cette vaste zone de prospérité, il nous faut, au préalable, résoudre le problème "israélo-arabe", je dis bien arabe, et non plus seulement palestinien.
Le moment est venu pour la France de prendre une initiative diplomatique spectaculaire

1) Vous devez affirmer la nécessité et l'urgence de créer un Etat palestinien sans plus tarder, en vous inspirant de la méthode utilisée à l'encontre du gouvernement de Damas
2) Proposer la tenue à Marseille d'une Conférence internationale qui aura à son ordre du jour la mise en place du Marché Commun Méditerranéen, seul moyen de résoudre le problème des "flux migratoires".

En agissant de la sorte, avec détermination, affirmant une fois de plus la souveraineté de la France, à un moment crucial de son histoire, vous apporterez un espoir réel aux jeunes "afro-français" des banlieues et redonnerez en même temps une chance à la ville de Marseille qui fut, il n'y a pas si longtemps encore, une grande métropole méditerranéenne.
Veuillez agréer, Monsieur le Président et Monsieur le Premier Ministre, l'assurance de ma haute considération.

Gabriel Enkiri,
auteur de "Israël un projet funeste".



Liban :

Quelle politique de défense et de sécurité pour le XXIème siècle ? Par Emmanuel DUPUY, Secrétaire général de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe - IPSE
Article pour Défense et Sécurité Internationale (juillet 2005)
Le Liban, petit pays de 4 millions d'âmes, occupé depuis plus de 30 ans, coincé entre des voisins aux appétits politiques et militaires voraces, connaît-il -ces derniers mois- les derniers soubresauts de la guerre civile qui l'avait ensanglanté de 1975 à 1990 et vidé de 5% de sa population, eu égard au terrible bilan de 200 000 morts ? L'assassinat en mars dernier du Premier Ministre en exercice, Rafic Hariri et celui tout aussi symbolique du journaliste Samir Kassir, le mois dernier, résonnent, en effet, comme les derniers relents de la lutte fratricide que se livrent les divers clans au pouvoir, liées voire provoquées par les puissances limitrophes (en premier lieu desquelles la Syrie et Israël, qui n'entretient toujours pas de relations diplomatiques ni avec Beyrouth et Damas, ne s'est retiré du sud du pays qu'en 2000 et entre lesquelles existe le différend au sujet des fermes de Chebaa, et le plateau du Golan, limitrophe du Liban annexé par Israël en 1981).
Les événements des dernières semaines ont ouvert des plaies mal fermées. La Suisse de la Méditerranée orientale, comme elle aimait se qualifier avant la guerre civile va-t-elle ainsi se voir, comme par le passé, les milices druzes, les factions chrétiennes dont les phalanges (parti des Kataeb), le camp des partisans du général Michel Aoun - revenu en mai dernier de quinze ans d'exil -, les défenseurs de Samir Geagea (FL, Forces Libanaises) embastillé depuis 1994, la communauté musulmane divisée entre chiites (Hezbollah et mouvement Amal de Nabih Berri) et sunnites, soutenues par l'Iran ou la Syrie, sans oublier les Palestiniens, qui représentent encore aujourd'hui près de 10% de la population totale du pays. Pire, la situation née de l'assassinat de Rafic Hariri accompagné par le départ " officiel " précipité des soldats syriens, consécutivement à une mobilisation exemplaire de la communauté internationale, caractérisée par la résolution 1559 de l'ONU (qui réclame à la fois la vérité sur la mort de Rafic Hariri, le désengagement syrien ainsi que des garanties sur le retour des disparus libanais en Syrie et le désarmement du Hezbollah), est-elle de nature à remettre en cause la fragile concorde entre Libanais et la paix entre les deux voisins, si imbriqués l'un dans l'autre ? La reprise ponctuelle des attentats, les accusations relayées par les observateurs de l'ONU quant au maintien de soldats et d'hommes des renseignements syriens au Liban du général Rostom Ghazalé, la rénovation de façade du parti Baas à Damas à l'occasion de son dixième Congrès et les signes timorés de changement évoqué par le président Bachar el-Assad font hélas craindre le pire. Ainsi, est-il légitime d'aller chercher à la source, les raisons des maux qui grèvent l'avenir du Liban qui, legs franco-britannique au sortir de la première guerre mondiale (CF : protectorat français en 1920 sur la Syrie et le Liban, qui conditionne l'indépendance effective du pays en 1943), a tous les atouts pour rester le carrefour entre l'Orient " compliquée " comme aimait à le répéter le Général De Gaulle et l'Occident.
1. Un système institutionnel et politique anachronique
Le confessionnalisme institutionnel imposé par les Accords de Taëf d'octobre 1989 (cf tableau : composition communautaire du pays et répartition des pouvoirs entre communautés) qui octroie à chacune des 17 communautés une partie des rouages du pouvoir législatif, exécutif et judiciaire a-t-il ainsi encore sa raison d'être au moment où les élections législatives du 29 mai démontrent la volonté de changement du peuple libanais, sachant que le confessionnalisme demeure le vecteur de l'ingérence étrangère. De ce point de vue, nombreux sont les observateurs à rappeler combien une révision de la Constitution et de la loi électorale, en vigueur depuis les dernières élections en 2000, doit être la prochaine étape politique. Le " Printemps des Cèdres ", comme on a pu l'entendre, répondait en effet à cette double inspiration. Cette formidable contagion démocratique, à l'instar des rassemblements spontanés de milliers de jeunes libanais dans les premiers jours de mars aura ainsi indéniablement marqué une volonté de rupture vis-à-vis de la mainmise des grandes familles libanaises sur la vie politique. Force est de constater également que le " tsunami politique ", pour paraphraser Walid Joumblat, Président du Parti Socialiste Progressiste, que devait représenter le retour tonitruant du général Michel Aoun sur la scène politique aura fait long feu. La volonté de laïciser la vie politique libanaise n'a pu faire face à l'ancrage au féodalisme politique et la métamorphose réussie du Hezbollah d'Hassan Nasrallah en parti politique, qui ressort grand vainqueur des élections législatives dans le sud du pays à majorité chiite. Ces élections ont valeur de test quant à l'élan réformiste et anti-syrien, né du retrait d'avril dernier. Ainsi, le fils de l'ancien Premier ministre, Saal Hariri a remporté - dans la capitale à majorité sunnite - une partie des 128 sièges de l'Assemblée, tandis que Michel Aoun est assuré, d'une large victoire dans la région du Mont Liban et la plaine de la Bekaa, limitrophe de la Syrie, faisant de lui le leader de la communauté chrétienne, sans que cela soit suffisant pour incarner l'alternance. Le gouvernement, déjà contesté pour ses liens avec Damas, du premier ministre Nagib Miqati, ainsi que le président Emile Lahoud, dont beaucoup souhaitent la démission pour son amitié ostentatoire avec Damas, se retrouve ainsi dans une situation inextricable, coincé par l'obligation de réussir face à la pression de l'opinion publique libanaise et internationale, apeurée par le retour de la violence dans Beyrouth. Le rôle de la France, de la francophonie, horizon quotidien de bon nombre de Libanais et de l'Europe, témoigne ainsi d'éviter de revenir à un passé pas si lointain, où la ville exprimait toute la complexité des relations internationales - rivalités entre puissances régionales militaires (Israël et Syrie, en guerre depuis 1967), soutien ostensible de l'Iran au Hezbollah, statut des réfugiés des Palestiniens qui avaient de Beyrouth le siège de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), implication internationale tragique, marquée par les attentats de 1983, contre les bases américaines et françaises, sans oublier le lourd tribut payé par les contingents étrangers au sein de la FINUL (Force Intérimaire des Nations Unies au Liban créée en 1982), sur la " ligne bleu ", dans le Sud du pays… Le Gouvernement ne pourra ainsi s'émanciper si facilement de la tutelle syrienne, qui s'exprime encore à travers des liens inextricables via le système financier et bancaire syrien, sans même évoquer la présence des services de renseignement syrien, dont le départ est invérifiable, comme le soulignent les observateurs des Nations Unies, ne serait-ce parce que le chiffre de soldats présents au Liban a varié au fil des années (certains avancent le chiffre de 40 000 soldats et forces de sécurité).
2. Le piège du " Grand Moyen-Orient "
Les Américains, qui souhaitent voir le Liban jouer un rôle pivot dans leur projet de " Grand Moyen-Orient " ont bien compris l'enjeu de stabilisation du Liban. Ils semblent ainsi particulièrement soucieux d'y garantir la paix, au point d'évoquer l'envoi d'une nouvelle force multinationale sous mandat de l'ONU. Cependant, à quel prix pour l'indépendance effective du Liban ? En outre, le " plan Marshall ", accompagnant le projet de paix global, lié à la " Feuille de route " entre les mains de Sharon et impliquant la reconnaissance mutuelle d'Israël et de la Syrie, souhaité par quelques think tanks outre-atlantique, n'a guère de chance de s'ancrer durablement dans le contexte stratégique régional, notamment compte tenu de l'instabilité chronique des régimes de la région. En effet, le sort du Liban ne lui appartient presque déjà plus, comme par le passé. Tout dépendra de la réussite ou du degré de réussite de la normalisation en Irak voulue par les Américains à tout prix. Car, ces derniers ne seront prêts à s'investir ponctuellement et sérieusement dans la région qu'au prix d'une stabilisation à leur manière sur la totalité de la région. Or, cette nouvelle légitimité institutionnelle - quasiment impossible à obtenir par la manière " forte " instillée par Washington - semble éloigner tout espoir de changement démocratique tant les systèmes politiques actuels tant au Liban, en Syrie, en Arabie Saoudite, en Egypte, voire en Jordanie, s'accrochent à leur pouvoir le plus souvent en contradiction avec la rue. On évoque même, dans certains milieux autorisés, un plan américain visant à délégitimer davantage la Syrie, encore sur la liste des pays terroristes (Rogues states), pour renverser le régime syrien, qui passe, comme pour le cas irakien, par la création de structures politiques ex-nihilo. Voit-on ainsi surgir depuis quelques temps, la Syrian Democratic Coalition (SDC), créée à Washington en novembre 2003, sur le modèle du CNI irakien d'Ahmed Chalabi qui, accompagnée par l'action de Nizzar Nayyouf, opposant historique au régime des Assad, père et fils, pourrait changer la donne, plus vite que l'on ne le pense, comme en témoigne le recours aux élections anticipées, à condition que l'Europe agisse comme levier entre le jusqu'au boutisme des Faucons du Pentagone - dont le but principal est la chute du régime baasiste, au pouvoir depuis 1963, et perçu comme le vestige gênant du panarabisme pour leur dessein de redécoupage du " Grand Moyen Orient " et le vœu des peuples pour le changement. Ainsi, le destin des Libanais se joue, encore une fois, en dehors de leur capacité d'action propre. L'enjeu réside désormais, comme le rappelle avec justesse l'ancien ministre libanais de la culture, Ghassam Salamé, dans la capacité à transformer le mai 68 libanais, avorté, en " printemps arabe " en faveur de la construction d'un Liban déconfessionnalisé nouveau qui ouvre les portes de l'Orient à l'Occident.

>>> Entretien avec Me Alexandre Najjar
sur le nouveau contexte géopolitique du Liban


Jeudi 17 Mars

Sur TV5 à 21 heures
"Une fois par mois" se propose de ralentir et d'approfondir l'actualité. Portraits, analyses, débats : prendre le temps du recul, et s'efforcer d'attirer l'attention, d'alimenter la réflexion, de nourrir la discussion en traitant l'actualité autrement en 53mns.
Au sommaire :
Le Portrait : Le Président syrien, M. Bachar al-Assad.
En plateau : - Antoine Sfeir, directeur de la revue Les Cahiers de l'Orient. - En duplex de Beyrouth, Marwan Hamadé, ancien Ministre libanais de l'Economie, membre du front de l'opposition libanaise.
Présentation : Christine Ockrent et Xavier Lambrechts.


Antisémite, Dieudonné ?

Ecrit par michel.collon@skynet.be 23-02-2005
Même parmi ceux qui soutiennent la libération du peuple palestinien, certains finissent par douter. Tant d'accusations dans les médias! "Pas de fumée sans feu" ? Qu'on aime ou non son humour, il est important d'éclaircir cette nouvelle "affaire Dieudonné". Pour tester comment on nous informe.
Dieudonné a-t-il traité la Shoah de "pornographie mémorielle", comme l'en ont accusé les médias français? Avant toute vérification, le secrétaire du PS appelle à boycotter ses spectacles. Et Perben, ministre de la Justice, réclame une enquête pour "contestation de crime contre l'humanité".
(Fera-t-il pareil contre l'Etat français qui a formé et protégé les génocidaires rwandais ?)

En réalité, Dieudonné a démenti le jour même. "Je cite en fait l'auteur Idith Zertal, qui parle de 'pornographie mémorielle'. Un peu comme l'auteur Norman Finkelstein parle de 'l'industrie de l'Holocauste', elle, elle parle des commémorations excessives, de l'hypertrophie dans la communication autour de ce crime contre l'humanité, indigne, insupportable" et que "je n'ai jamais remis en cause bien évidemment. Je ne fais que la citer. Ce terme-là dans la bouche d'une Israélienne dont les parents sont morts dans les camps m'interroge."
Avez-vous lu ce démenti dans les médias qui avaient accusé Dieudonné ? Pratiquement pas. Voilà comment on nous désinforme. Une suggestion : écrivez au ministre de la Justice Perben, demandez-lui de mener son enquête jusqu'au bout et de bien nous informer : qui a menti, comment et pourquoi ?
En fait, il existe dans nos pays un puissant lobby sioniste au service d'Israël.
Sa stratégie ? Vu que la politique d'apartheid est indéfendable, sa stratégie consiste à traiter les critiques d' "antisémites". Tout l'effort de ce lobby est de semer la confusion entre trois notions bien différentes : juif, israélien, sioniste. Et faire croire qu'en dénonçant les crimes d'Israël, on devient du coup antisémite.
En réalité :
- Un sioniste est celui qui justifie l'occupation de la Palestine par un Etat raciste. Lequel a chassé et veut toujours chasser les habitants d'origine au nom d'une théorie du "peuple élu par Dieu il y a deux mille ans". Etat condamné par des dizaines de résolutions de l'ONU et sauvé uniquement parce que les USA financent cet Etat comme porte-avion pour contrôler le Moyen-Orient et son pétrole.
- Un Israélien est celui vit dans cet Etat. Où la majorité soutient les politiques d'apartheid néocolonial, mais dont beaucoup de citoyens sont eux-même victimes de la politique agressive de leurs dirigeants.
- Un juif est celui qui croit à cette religion. La majorité des Juifs ne vivent pas en Israël et b eaucoup désapprouvent sa politique. Qu'on soit croyant ou non, toute discrimination sur base de la religion doit être fermement combattue.
Mais qui est vraiment Dieudonné?
Juste un 'comique' ou bien une vision bien documentée sur le colonialisme d'hier et d'aujourd'hui, et les divers racismes qui l'accompagnent? Pour ceux qui refusent les étiquettes plaquées d'avance et qui préfèrent penser avec leur propre cerveau, on recommande l'excellent petit livre du journaliste belge Olivier Mukuna : Dieudonné, entretien à coeur ouvert.
Extraits :
- "Comment Ariel Sharon peut-il être crédible en avançant l'argument de la Shoah alors qu'il a soutenu l'apartheid en Afrique du Sud et que l'Etat israélien impose la même politique aux Palestiniens?" (p. 41)
- "Soyons honnêtes, la communauté juive (de France) ne fait pas partie de celles qui souffrent le plus du racisme. Elle n'est pas la plus pauvre, elle n'enregistre pas de décès suite à des actes de racisme, elle n'a pas de problèmes d'intégration en ce qui concerne le logement et le travail. La propagande sioniste est aussi organisée autour d'une pleurnicherie interminable qui légitimerait le monopole du combat antiraciste." (p. 48)
- "En France, beaucoup ont peur d'aborder certains thèmes 'sensibles' dont le sionisme." (p. 72) - "Jean-Marie Le Pen, qualifié à juste titre d'antisémite, n'a jamais eu trop de difficultés à trouver des plateaux télé accueillants. On peut aussi se demander pourquoi des invités médiatiques permanents, comme Bernard-Henri Lévy ou Alain Finkielkraut ne veulent pas débattre avec moi. Normal : ils ne peuvent entendre certaines vérités. C'est illusoire de penser qu'il existe une véritable liberté d'expression dans ce pays. Il y a une latitude d'expression dans un cadre déterminé. Et moi, je suis hors de ce cadre." (p. 74)
Dieudonné Entretien à coeur ouvert
Par Olivier Mukuna 2004 ISBN 2-87262-217-9, 120 p., 10 euros http://www.epo.be/editions/presentation.php?
isbn=2-87262-217-9 Pour contacter ou inviter l'auteur, Olivier Mukuna : kadtshi@yahoo.fr
DESINFORMATION ?
L'affaire Dieudonné pose des questions cruciales :
- Qui contrôle notre info ? - Sur base de quels intérêts décide-t-on qui est "personna non grata" dans le débat politique ?
- Comment s'organise une campagne médiatique pour diaboliser et discréditer les "méchants" que le public ne peut entendre ? Notre Attention, médias! avait abordé ces questions.
Y compris cette stratégie des fausses infos, avec rectifications hyper-discrètes, tardives ou inexistantes. Créer l'impression "Il n'y a pas de fumée sans feu". http://www.michelcollon.info/attention_medias.php
Plus récemment, Geoffrey Geuens dans son "Tous pouvoirs confondus" a analysé de façon exhaustive les rapports entre pouvoirs économiques, politiques et médiatiques. On y trouvera de précieuses données sur les croisements d'intérêts. http://www.epo.be/editions/presentation.php?
isbn=2-87262-193-8 (21 février 2005)

Le Liban dans dix ans...
Débat organisé par « Le Commerce du Levant » au Salon Lire en Français 2004


« Le Liban a les moyens d’avoir un avenir exceptionnel »
C’est par ces mots que l’ancien ministre Nasser Saïdi a entamé un débat sur l’avenir du Liban, organisé mardi au Salon du livre par Le Commerce du Levant. L’événement fait suite à la publication d’un numéro spécial du mensuel économique francophone, pour son 75e anniversaire, consacré à l’histoire économique du Liban. Après cette rétrospective, l’objectif était de passer à la prospective, ont expliqué la directrice, Nayla de Freige, et le rédacteur en chef, Nicolas Sbeih, qui ont demandé à quatre personnalités du monde économique d’imaginer le Liban dans dix ans. Une tâche bien compliquée, de l’avis unanime des intervenants : Nasser Saïdi, Bernard Fattal, responsable de l’un des plus grands groupes de distribution du pays, et les économistes Kamal Hamdane et Yehya Hakim.
Quatre personnalités et quatre approches différentes, mais un même constat : le Liban a un grand potentiel, à condition de savoir l’exploiter.
Car, pour Nasser Saïdi, malgré un capital humain et un réseau « extraordinaires », le problème de la gouvernance reste primordial. « Si nous n’arrivons pas à résoudre ce problème, l’avenir fascinant de promesses qui s’ouvre devant les jeunes est menacé », dit l’ancien ministre. Une meilleure gouvernance dans le secteur public, c’est d’abord revoir le rôle et la place de l’État, afin que les dix prochaines années soient l’occasion pour le secteur privé d’exprimer tout son potentiel de développement, explique Nasser Saïdi. L’ancien ministre considère que les nouvelles technologies de l’information seront le moteur le plus puissant de la croissance dans un pays comme le Liban, d’où la nécessité de se doter d’une infrastructure de télécommunications performante. Il sera toutefois difficile de réformer les institutions sans réforme politique, estime Nasser Saïdi, selon qui le changement ne viendra pas sans une crise : « Je ne vois toujours personne manifester », souligne-t-il.
Pour Bernard Fattal, un changement du système politique libanais correspondrait à un scénario exceptionnel pour les dix ans à venir, au même titre que la création d’un véritable marché commun arabe ou la conclusion d’une paix régionale effective (« pas à l’égyptienne »). Un tel scénario exceptionnel s’accompagnerait d’une accélération extraordinaire du développement du pays, à l’instar de ce qui s’est produit en Allemagne, après la chute du Mur, ou dans les pays entrant dans l’Union européenne. Mais le directeur général du groupe Fattal semble écarter des phénomènes de ce genre, préférant envisager un scénario de « vitesse de croisière », semblable aux dix dernières années. La décennie écoulée s’est soldée par un accroissement des inégalités sociales, estime Bernard Fattal, car les fruits de la croissance ont profité à une petite partie de la population. Pour tenter de combler le fossé entre riches et pauvres, il voit deux possibilités : améliorer le pouvoir d’achat ou améliorer la qualité de vie de la population, estimant la deuxième plus réaliste, c’est-à-dire le développement de domaines tels que la santé ou l’éducation qui favorisent à la fois le tourisme et profitent à la population libanaise. En résumé, dit Bernard Fattal, « si (en tant qu’État) j’avais de l’argent à dépenser, je l’investirais dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de l’environnement, du logement ; et si je devais activer la diplomatie, je la consacrerais à la création d’un marché commun arabe ».
Quant à Kamal Hamdane, le défi des dix années à venir consiste, selon lui, à développer des activités à forte valeur ajoutée en mesure d’absorber l’offre de travail émanant des universités libanaises, qui est aujourd’hui vouée à « l’exportation ». Pour l’économiste, il existe un consensus sur la précarité économique et sociale actuelle. « Nous vivons les limites du modèle de croissance extravertie des 30 à 40 dernières années, qui reposait sur les importations, la consommation, une politique de rente, l’exportation du capital humain et les entrées de capitaux. » Ce modèle n’est plus viable et il faut en bâtir un autre, estime Kamal Hamdane, selon qui un tel changement nécessite une réforme politique. « Un système aussi imbibé de communautarisme ne peut pas gérer le Liban », dit-il.
Yehia Hakim, enfin, estime que le sous-développement du Liban, comme celui des pays arabes, est lié à une lacune majeure. « Il manque une pierre angulaire, celle du savoir. Pour créer une société et une économie de la connaissance, il faut accéder à l’information, or celle-ci est aujourd’hui limitée à des privilégiés. » L’économiste énumère une longue liste de données fondamentales que ni le secteur public ni le secteur privé ne sont en mesure de fournir, alors que, dit-il, toute politique économique doit être fondée sur un diagnostic de la situation. « La priorité pour les dix prochaines années doit être de créer une base de donnée nationale qui servira de rampe de lancement à une politique de développement. »

Compte-Rendu de Sybille Rizk pour L'Orient-Le Jour


Il nous a paru intéressant de transcrire une synthèse de l'éclairage du philosophe Edgard Morin paru dans Le Monde du 19 Février 2004 sur l'importation des conflits en France ou l'imputation sans cesse répandue d'antisémitisme qui, dans ces cas, n'a pas d'autre sens que de protéger Tsahal et Israël de toute critique


Extrait de l'article : 'Antisémitisme, antijudaïsme, anti-israélisme'


Il y a des mots qu'il faut réinterroger ; ainsi le mot antisémitisme. En effet, ce mot a remplacé l'antijudaïsme chrétien, lequel concevait les juifs comme porteurs d'une religion coupable d'avoir condamné Jésus, c'est-à-dire, si absurde que soit l'expression pour ce Dieu ressuscité, coupable de déicide. L'antisémitisme, lui, est né du racisme et conçoit les juifs comme ressortissants d'une race inférieure ou perverse, la race sémite. A partir du moment où l'antijudaïsme s'est développé dans le monde arabe, lui-même sémite, l'expression devient aberrante et il faut revenir à l'idée d'antijudaïsme, sans référence désormais au 'déicide'. Il y a des mots qu'il faut distinguer, comme l'antisionisme de l'anti-israélisme, ce qui n'empêche pas qu'il s'opère des glissements de sens des uns aux autres. En effet, l'antisionisme dénie non seulement l'installation juive en Palestine, mais essentiellement l'existence d'Israël comme nation. Il méconnaît que le sionisme, au siècle des nationalismes, correspond à l'aspiration d'innombrables juifs, rejetés des nations, à constituer leur nation. Israël est la concrétisation nationale du mouvement sioniste. L'anti-israélisme a deux formes ; la première conteste l'installation d'Israël sur des terres arabes, se confond avec l'antisionisme, mais en reconnaissant implicitement l'existence de la nation israélienne. La seconde est partie d'une critique politique devenant globale de l'attitude du pouvoir israélien face aux Palestiniens et face aux résolutions de l'ONU qui demandent le retour d'Israël aux frontières de 1967. Comme Israël est un Etat juif, et comme une grande partie des juifs de la diaspora, se sentant solidaires d'Israël, justifient ses actes et sa politique, il s'opéra alors des glissements de l'anti-israélisme à l'antijudaïsme. Ces glissements sont particulièrement importants dans le monde arabe et plus largement musulman où l'antisionisme et l'anti-israélisme vont produire un antijudaïsme généralisé. Y a-t-il un antijudaïsme français qui serait comme l'héritage, la continuation ou la persistance du vieil antijudaïsme chrétien et du vieil antisémitisme européen ? C'est la thèse officielle israélienne, reprise par les institutions dites communautaires et certains intellectuels juifs. Or il faut considérer que, après la collaboration des antisémites français avec l'occupant hitlérien, puis la découverte de l'horreur du génocide nazi, il y eut affaiblissement par déconsidération du vieil antisémitisme nationaliste-raciste ; il y eut, parallèlement, suite à l'évolution de l'Eglise catholique, dépérissement de l'antijudaïsme chrétien qui faisait du juif un déicide, puis l'abandon de cette imputation grotesque. Certes, il demeure des foyers où l'ancien antisémitisme se trouve ravivé, des résidus des représentations négatives attachées aux juifs restés vivaces dans différentes parties de la population ; il persiste enfin dans l'inconscient français des vestiges ou des racines de 'l'inquiétante étrangeté' du juif, ce dont a témoigné l'enquête La Rumeur d'Orléans (1969) dont je suis l'auteur. Mais les critiques de la répression israélienne, voire l'anti-israélisme lui-même ne sont pas les produits du vieil antijudaïsme. On peut même dire qu'il y eut en France, à partir de sa création accompagnée de menaces mortelles, une attitude globalement favorable à Israël. Celui-ci a été d'abord perçu comme nation-refuge de victimes d'une horrible persécution, méritant une sollicitude particulière. Il a été, en même temps, perçu comme une nation exemplaire dans son esprit communautaire incarné par le kibboutz, dans son énergie créatrice d'une nation moderne, unique dans sa démocratie au Moyen-Orient. Ajoutons que bien des sentiments racistes se sont détournés des juifs pour se fixer sur les Arabes, notamment pendant la guerre d'Algérie, ce qui a bonifié davantage l'image d'Israël. La vision bienveillante d'Israël se transforma progressivement à partir de 1967, c'est-à-dire l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza, puis avec la résistance palestinienne, puis avec la première Intifada, où une puissante armée s'employa à réprimer une révolte de pierres, puis avec la seconde Intifada qui fut réprimée par violences et exactions disproportionnées. Israël fut de plus en plus perçu comme Etat conquérant et oppresseur. La formule gaullienne dénoncée comme antisémite, 'peuple dominateur et sûr de lui', devint truisme. La poursuite des colonisations qui grignotent sans cesse les territoires palestiniens, la répression sans pitié, le spectacle des souffrances endurées par le peuple palestinien, tout cela détermina une attitude globalement négative à l'égard de la politique de l'Etat israélien, et suscita un anti-israélisme dans le sens politique que nous avons donné à ce terme. C'est bien la politique d'Israël qui a suscité et amplifié cette forme d'anti-israélisme, et non la résurgence de l'antisémitisme européen. Mais cet anti-israélisme a très peu dérivé en antijudaïsme dans l'opinion française.
Par contre, la répression israélienne et le déni israélien des droits palestiniens produisent et accroissent les glissements de l'anti-israélisme vers l'antijudaïsme notamment dans le monde islamique. Plus les juifs de la diaspora s'identifient à Israël, plus on identifie Israël aux juifs, plus l'anti-israélisme devient antijudaïsme. Ce nouvel antijudaïsme musulman reprend les thèmes de l'arsenal antijuif européen (complot juif pour dominer le monde, race ignoble) qui criminalise les juifs dans leur ensemble. Cet antijudaïsme s'est répandu et aggravé, avec l'aggravation même du conflit israélo-palestinien, dans la population française d'origine arabe et singulièrement dans la jeunesse. De fait, il y a non pas pseudo-réveil de l'antisémitisme européen, mais développement d'un antijudaïsme arabe. Or, plutôt que reconnaître la cause de cet antijudaïsme arabe, qui est au cour de la tragédie du Moyen-Orient, les autorités israéliennes, les institutions communautaires et certains intellectuels juifs préfèrent y voir la preuve de la persistance ou renaissance d'un indéracinable antisémitisme européen.
Dans cette logique, toute critique d'Israël apparaît comme antisémite. Du coup, beaucoup de juifs se sentent persécutés dans et par cette critique. Ils sont effectivement dégradés dans l'image d'eux-mêmes comme dans l'image d'Israël qu'ils ont incorporée à leur identité. Ils se sont identifiés à une image de persécutés ; la Shoah est devenue le terme qui établit à jamais leur statut de victimes, de gentils ; leur conscience historique de persécutés repousse avec indignation l'image répressive de Tsahal que donne la télévision. Cette image est aussitôt remplacée dans leur esprit par celle des victimes des kamikazes du Hamas, qu'ils identifient à l'ensemble des Palestiniens. Ils se sont identifiés à une image idéale d'Israël, certes seule démocratie dans un entourage de dictatures, mais démocratie limitée, et qui, comme l'ont fait bien d'autres démocraties, peut avoir une politique coloniale détestable. Ils se sont assimilés avec bonheur à l'interprétation bibliquement idéalisée qu'Israël est un peuple de prêtres. Ceux qui sont solidaires inconditionnellement d'Israël se sentent persécutés intérieurement par la dénaturation de l'image idéale d'Israël. Ce sentiment de persécution leur masque évidemment le caractère persécuteur de la politique israélienne. Une dialectique infernale est en oeuvre. L'anti-israélisme accroît la solidarité entre juifs de la diaspora et Israël. Israël lui-même veut montrer aux juifs de la diaspora que le vieil antijudaïsme européen est à nouveau virulent, que la seule patrie des juifs est Israël, et par là même a besoin d'exacerber la crainte des juifs et leur identification à Israël. Ainsi les institutions des juifs de la diaspora entretiennent l'illusion que l'antisémitisme européen est de retour, là où il s'agit de paroles, d'actes ou d'attaques émanant d'une jeunesse d'origine islamique issue de l'immigration. Mais, comme dans cette logique, toute critique d'Israël est antisémite, il apparaît aux justificateurs d'Israël que la critique d'Israël, qui se manifeste de façon du reste fort modérée dans tous les secteurs d'opinion, apparaît comme une extension de l'antisémitisme. Et tout cela, répétons-le, sert à la fois à occulter la répression israélienne, à israéliser davantage les juifs, et à fournir à Israël la justification absolue. L'imputation d'antisémitisme, dans ces cas, n'a pas d'autre sens que de protéger Tsahal et Israël de toute critique.[...]


Entretien accordé par Marc-Edouard Nabé à
l'Hebdo Magazine
en Janvier 2004
-extraits-


Marc-Edouard Nabe,
de son vrai nom Alain Zanini, a vécu la guerre en Irak et l'a contée dans un ouvrage, Printemps de feu. Il livre à Magazine son opinion concernant la loi contre les signes ostensibles dans les écoles.

L'Irak d'aujourd'hui diffère-t-il du pays que vous avez visité en mars-avril de l'année 2003, ou bien sommes-nous dans la situation de «Saddam Hussein est mort... vive George Bush»?
Bien sûr que la situation a changé. Déjà, lors de ma visite en 2002, le pays vivait sous la dictature ignoble de Saddam Hussein. Les Américains et les Européens ont attendu que le pays soit le plus faible possible pour l'achever. S'ils voulaient démocratiser l'Irak, ils l'auraient fait depuis longtemps.

Quel serait l'objectif des occidentaux si ce n'est la démocratisation de l'Irak?
La «bushisation» de la région est le but ultime des Etats-Unis actuellement afin d'instaurer un pouvoir hégémonique. C'est une réitération, un «cheap remake» des conquêtes de l'Histoire, malgré les grands moyens utilisés. Si encore c'était une véritable croisade religieuse... mais elle est à caractère purement politique.

L'Irak constituerait la première étape de la «bushisation de la région».
Quelles en sont les prochaines visées? La Syrie est dans la ligne de mire des Etats-Unis. Ils veulent juguler toute résistance. Damas a d'ailleurs beaucoup changé depuis la guerre. Après avoir été le seul pays qui a laissé ouvrir ses frontières aux combattants, les gens ont perdu espoir.

Est-ce dû à la manière dont a été capturé Saddam Hussein?
C'est en raison de cette pseudo-victoire, due à l'argent qui a permis la dénonciation de Saddam Hussein par les plus proches collaborateurs.

Quelle est votre relation avec la religion?
Je suis une personne de foi. Je crois en beaucoup de choses, et par-dessus toutes ces choses je crois en Dieu. Je me sens d'ailleurs en intimité avec les Orientaux à travers cette foi. L'islam et la chrétienté d'Orient sont visés, car on veut empêcher l'être humain de croire en quelque chose qui le dépasse. C'est le message des Etats-Unis.

Pensez-vous écrire un roman sur le Liban? Même sans George Bush ici?
Bien sûr, c'est mon intention... Heureusement, je n'écris pas uniquement sur George Bush et sur les menaces d'un bushisme omniprésent. Dans le prochain numéro de mon journal mensuel La Vérité, je vais écrire une double page intitulée Bilan au Liban dans laquelle je décrirai mes impressions sur la fin de l'Irak et sur la très mauvaise fin de l'année 2003 à partir du Liban.

N'est-il pas prétentieux d'appeler votre journal La Vérité?
C'est ce qu'il y a de plus modeste. Ce n'est pas ma réalité, mais celle du Seigneur, celle de saint Jean. Je suis actuellement poursuivi par les trotskistes pour avoir utilisé le même nom que leur journal, s'appelant La vérité ­ v minuscule ­, qui reprend leur idéologie. Je me rends compte une fois de plus que je soulève encore des polémiques rien que pour une affaire de nom.

Automne 2003: nouveau numéro de la revue « Confluences méditerranée »
La « difficile reconstruction » du Liban : le plus gros reste à faire

«Reconstruction ne veut pas dire réhabilitation, réparation de dégâts matériels, rénovation et mise en place de nouvelles infrastructures. Elle signifie surtout une recomposition de la société et de l’État qui ont été durement affectés par des décennies de dévastations. »
C’est Ghassan el-Ezzi qui a donné le ton à la conférence donnée lors du Salon Lire en Français au Biel à l’occasion de la parution d’un nouveau numéro de la revue Confluences Méditerranée sur « la difficile reconstruction » du Liban. Coauteur et responsable de la préparation de ce dossier spécial, paru chez l’Harmattan, Ghassan el-Ezzi passe en revue le contexte dans lequel a commencé à se dessiner le projet de reconstruction avant de constater que dix ans après le lancement de ce chantier, « le plus gros reste à faire » dans tous les domaines. « Au point que certains analystes ont souligné la persistance de presque tous les ingrédients de déflagration générale ». Des ingrédients endogènes – pauvreté et dettes, ravages irrémédiables de la corruption au sein de la classe politique et économique et au sein des institutions ; mais aussi des facteurs exogènes comprenant tous les enjeux géopolitiques que subit le Liban, l’occupation israélienne sur Chebaa sur fond de politique interlibanaise, le rôle du Hezbollah, la tutelle syrienne, la présence de réfugiés palestiniens et les retombées de l’occupation US de l’Irak. Voici donc les grandes lignes qui ont présidé à cette réflexion portant sur les institutions et la société au Liban. Abordant tour à tour les différentes politiques de l’État, les disparités économiques, la réforme de l’Administration, la société civile, la question des réfugiés palestiniens ainsi que les enjeux de la terre de de l’eau, ce nouveau spécial sur le Liban, auquel ont contribué d’éminents politologues, économistes, et professeurs d’université, est une sorte de bilan qui permet de cerner, à travers une approche pluridisciplinaire, toutes les problématiques de la reconstrution.
Jean-Paul Chagnollaud, directeur de rédaction de la revue et spécialiste du Proche-Orient a rappelé les motivations profondes qui étaient derrière la création d’une telle revue. En quelques mots, il s’agissait de « trouver des confluences dans cette Méditerranée fragmentée », dit-il. Fondée depuis une douzaine d’années par Chagnollaud lui-même et un diplomate tunisien, cette publication se veut également une tribune pour le dialogue israélo-arabe. Commentant les travaux des chercheurs libanais Chagnollaud dira avoir retenu quelques idées phare de ce dossier, telles que la problématique de la volonté politique, de l’absence d’État ou ce qu’il a appelé l’inexistence « d’un creuset pour rassembler les forces et les énergies » constitutives de ce pays. Il cite au passage la pertinence de questions telles que les problèmes de la réforme administrative ou la question de l’État qui, dit-il « revient de manière lancinante dans tous les textes » ainsi que les obstacles à la consolidation d’une société civile assez affaiblie après la guerre. Ce sujet a été abordé par Fadia Kiwan, la directrice de l’Institut de sciences politiques de l’USJ, qui a longuement parlé de son étude sur la « consolidation ou recomposition de la société civile d’après-guerre ». Mme Kiwan fait la distinction entre les liens communautaires confessionnels ou tribaux – « des liens spontanés que l’on n’a pas choisis » – et « les liens civils que les gens choisissent ». Ce sont des liens politiques rationnels qui, avant la guerre, étaient une indication claire signifiant que la collectivité nationale pouvait dépasser progressivement les liens primaires. Or, poursuit l’intervenante, durant les hostilités, on assiste à un phénomène plutôt paradoxal, à savoir un repli identitaire qui a lieu parallèlement à une montée en créneau des ONG qui ne sont pas toutes confessionnelles. « L’après-guerre présente toutefois un tableau sombre », que l’intervenante essaye d’expliquer par les divisions qui règnent au sein des formations syndicales ou la politisation des ordres professionnels devenue de plus en plus patente, ces derniers étant instrumentalisés par les forces politiques en présence. Une situation qui va nécessairement conduire au paradoxe de la « réconciliation entre les appartenances politiques et les revendications professionnelles ». Autre problème, poursuit la politologue, celui des ONG, devenues très nombreuses et menacées du point de vue de leur financement et qui, à leur tour, sollicitent les politiques, d’où une perte d’autonomie chez ces organisations. C’est par une équation toute simple que l’économiste Boutros Labaki expose à son tour le problème des politiques de l’État et des reconstructions. « Si les investissements pour les reconstructions au cours des dix dernières années n’ont pas dépassé les 6 milliards de dollars, comment sommes-nous parvenus au stade des 33 milliards de dollars de dettes surtout que l’on est à ce jour encore très loin des objectifs et des besoins de la reconstruction tels que fixés dans les différents plans ? » s’interroge le conférencier. Des carences qu’il explique notamment par la « capacité limitée des Administrations et des entreprises libanaises à concevoir et exécuter les projets ». Ainsi que par la crise des finances publiques qui, dit-il, s’est répercutée sur la reconstruction à partir de 1997, d’où un blocage de l’ensemble du processus. Plus concrètement, M. Labaki dénonce au passage les problèmes rencontrés au niveau sectoriel comme celui de l’électricité qui, rappelle-t-il, a bénéficié de la plus grosse part des investissements, soit « 22 % pour réaliser des centrales électriques inutiles », dit-il en citant notamment la centrale de Zahrani ou la construction d’un « aéroport conçu pour 6 millions de voyageurs et qui n’en accueille que deux ». Abordant la question des problèmes socio-économiques, l’économiste Walid Safi rappelle qu’une des raisons majeures derrière le déclenchement de la guerre est le fait que « 4 % des Libanais accaparaient 33 % du revenu national », des disparités qui n’ont fait que s’accroître avec le temps pour des raisons de dérives politiques et de dysfonctionnements structurels tels que la concentration de l’activité économique au centre ou le système fiscal qui se fonde sur l’impôt indirect.


Jeanine JALKH
L'Orient LeJour

>>> Les principaux textes du Dossier de Confluences Méditerranée
sur la reconstruction du Liban


Autopsie de la souveraineté libanaise avec le professeur Joseph Maïla

À la fin de l’année 1983, Joseph Maïla – à l’époque vice-doyen de la faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université Saint-Joseph (USJ) où il était enseignant à la faculté de sciences politiques – avait fait, dans un article intitulé « Les aventures de la souveraineté », publié dans « L’Orient-Le Jour », une étude consacrée à ce concept. M. Maïla avait alors défini trois catégories conceptuelles d’« attaques » contre la souveraineté libanaise : « La présence palestinienne ou la souveraineté contestée », « L’intervention syrienne ou la souveraineté limitée », et « L’invasion israélienne ou la souveraineté contrôlée ». Très exactement vingt ans après, la notion de souveraineté continue d’occuper le devant de la scène au niveau de la politique libanaise et de susciter les débats les plus acharnés entre opposants d’un côté, loyalistes et prosyriens de l’autre. « L’Orient-Le Jour » a été à la rencontre de M. Maïla, actuellement doyen de la faculté des sciences humaines à l’Institut d’études catholiques de Paris, pour faire le point sur le présent, le devenir et l’évolution de la souveraineté libanaise. Une réflexion en profondeur et pour le moins percutante, à cheval entre la philosophie politique, le droit international public et la sociologie politique.
Michel HAJJI GEORGIOU

Selon Joe Maïla, le concept de souveraineté est au centre du débat politique libanais depuis les années 70. Il évoque sur ce plan les trois catégories d’atteintes à la souveraineté observées au Liban durant la guerre. D’abord, les opérations de l’OLP à partir du Liban-Sud, qui avaient eu pour effet de contester la souveraineté libanaise, dans le sens où cette dernière avait été « contestée au service d’une cause jugée supérieure, celle du conflit israélo-arabe ». Ensuite, l’intervention de l’armée syrienne en 1976, qui a « limité » la souveraineté, dans l’optique des démocraties populaires et du concept rendu célèbre par Léonid Brejnev durant la guerre froide : l’existence d’un cadre de mouvance de la politique étrangère, défini par un État souverain dans la région qui limite la souveraineté des autres. Enfin, Israël et la souveraineté « contrôlée » : « Du fait de son affaiblissement, l’État libanais avait perdu l’une de ses dimensions essentielles, la souveraineté, d’où la montée d’un droit de contrôle sur la frontière », explique-t-il. Et de poursuivre : « Ces trois types d’attaques avaient chacun des prétentions différentes du point de vue de leurs perspectives, mais identiques du point de vue de leurs conséquences : ils ont mené à l’effondrement de l’État libanais .» « Face à ces attaques sont nés des soulèvements insurrectionnels qui ont tenté de retrouver le cours normal des choses. D’abord, la guerre de 75-76, qui a tourné autour de la thèse suivante, défendue par les milices chrétiennes : l’État libanais qui adhère à la cause palestinienne a-t-il le droit de mettre en danger sa souveraineté pour une cause plus importante ? Ensuite, avec l’intervention syrienne, s’est mis en place un autre type de résistance : la volonté de récupérer une souveraineté internationale de l’État libanais. Une tentative qui a échoué lamentablement, puisque le Liban est aujourd’hui un État sans souveraineté au sens juridique du terme, c’est-à-dire qu’il a perdu les deux apanages sur lesquels se fondent non pas la souveraineté en tant que telle, mais son effectivité : la politique étrangère et l’armée », affirme Joseph Maïla. « Il est intéressant de constater que depuis que la présence syrienne s’est renforcée au Liban, les deux seules questions sur lesquelles il est interdit de réfléchir ou de discuter entre Libanais – les disputes sur toutes les autres questions étant encouragées par Damas – c’est la politique étrangère et la politique de défense. Ces questions ne suscitent aucun problème au Parlement : le budget de la défense n’est pas discutable, même sur le plan technique, alors qu’il est possible de le réduire pour faire des économies. La souveraineté contrôlée, elle, n’est qu’en partie résolue dans la mesure où Israël continue à demander au Liban de contrôler sa frontière. Demande à laquelle Beyrouth a cette réponse inadmissible : “Nous n’avons pas à être les gendarmes d’Israël”. Pour des raisons syriennes, il est interdit d’envoyer l’armée au Liban-Sud. Raymond Eddé avait toujours prôné l’intervention de troupes internationales à ce niveau pour contrôler une frontière réputée incontrôlable militairement puisque nous sommes en état de guerre avec Israël. On peut se demander si ce débat n’a pas été volontairement saboté, dans la mesure où il aurait fermé définitivement la porte du Liban-Sud », indique-t-il.
État des lieux actuel : « La fiction d’un Liban souverain »
Mais nous n’en sommes plus à ce niveau du problème, reprend Joseph Maïla. « Il y a eu des réponses libanaises aux questions posées. L’une a légitimé la perte de contrôle de la souveraineté au nom de la stabilité. L’accord de Taëf résume cette option : il existe bel et bien une souveraineté libanaise, mais elle ne peut être pensée et mise en œuvre que dans le cadre d’un accord libano-syrien. Par ailleurs, il existe une pensée intransigeante, celle du général Michel Aoun. Elle revient à l’idée d’une reprise en main par les Libanais d’une souveraineté pensée tous azimuts : retrait de toutes les forces étrangères et rétablissement de la souveraineté, l’idée de base étant que seules des garanties internationales peuvent stabiliser la souveraineté perçue dans sa dimension internationale, d’où la référence à la résolution 520 du Conseil de sécurité. La 520 n’étant pas une arme de guerre, mais un moyen d’aborder la question du règlement de la souveraineté contestée. Mais, avec le Traité de fraternité et de coopération libano-syrien, des rapports entre “deux États souverains” ont pu “aménager” la question de la souveraineté. En d’autres termes, on a fait échapper la présence de troupes étrangères à tout contrôle international et arabe à travers ce traité », affirme-t-il. « Les deux États libanais et syrien “s’entendent” en effet pour que les troupes syriennes restent au Liban. Dès lors, il s’agit d’un abandon souverain de souveraineté, une autolimitation de cette dernière. Bien entendu, l’on remarquera qu’il s’agit d’un traité inégal, imposé dans un contexte de force, et on peut donc se poser la question de sa nullité au plan international, à l’instar des traités passés par les puissances européennes avec la Chine à la fin du XIXe siècle », indique-il. « Ainsi, lorsque certains affirment : “La Syrie nous gouverne”, le gouvernement libanais répond : “Non. C’est nous qui réclamons la présence des Syriens, et nous sommes un pouvoir élu et reconnu”. Il n’y a pas de contestation, pas de territoire divisé, il existe un seul gouvernement et une seule armée. On part désormais de la fiction d’un Liban qui serait souverain, et il n’est plus question de penser la situation en fonction de la stricte notion de souveraineté. Il est désormais question d’indépendance », souligne-t-il. Explications : « Un État vraiment souverain est un État indépendant. Néanmoins, un État qui n’est pas indépendant peut avoir tous les aspects formels de la souveraineté. Mais, dans la réalité, il n’est pas vraiment souverain s’il n’est pas indépendant. Personne ne conteste que le Liban possède un siège à l’Onu, un drapeau, une armée... Mais il s’agit d’un pays téléguidé de l’extérieur. Il faut donc qu’il redevienne indépendant pour recouvrer sa souveraineté effective. Désormais, la question de la souveraineté se repose de manière globale, et ne peut trouver de solution définitive que dans le cadre du règlement du contentieux régional. S’il y a un règlement, nous pourrons revenir à un état où nos voisins respectent nos frontières et notre souveraineté. Mais non plus la souveraineté entendue comme territoriale ou spatiale, mais comme le pouvoir souverain du peuple, la libre décision. En effet, la question de la souveraineté sur un plan territorial, à part le prétexte fallacieux et sans conséquences des hameaux de Chébaa, est pratiquement résolue, dans la mesure où plus personne ne parle d’annexion ou de partition du pays, et c’est la question de l’indépendance et de la libre décision qui reste en suspens. À la souveraineté équivaut aujourd’hui l’indépendance et la libre décision. »
Aucune souveraineté n’est relative
Et M. Maïla de poursuivre : « Il existe un courant représenté par le patriarche maronite qui réclame le retrait syrien du Liban et la fin de l’influence syrienne sur les affaires politiques libanaises, affirmant que seuls deux États souverains peuvent signer des accords de coopération. Il existe une deuxième tendance, toutes confessions confondues, qui dit : “Nous nous trouvons dans une nouvelle situation, dans le cadre de laquelle la coopération avec la Syrie s’impose et se fait au bénéfice des deux États dans un contexte de complémentarité. Il ne s’agit plus de poser le problème en termes d’indépendance mais de complémentarité. Nous sommes condamnés à vivre ensemble et à coexister”. Par ailleurs, il ne faut pas tomber dans le panneau mis en avant par les prosyriens et selon lequel, à l’ère de la mondialisation, la notion de souveraineté est de toute manière relative. La notion de souveraineté n’est pas relative, mais absolue. Un État est souverain ou ne l’est pas. Il n’y a pas de demi-souveraineté. Mais, à partir de la souveraineté, on peut engager librement cette dernière ou l’autolimiter ». Avec Taëf, les députés libanais ont-ils décidé de s’autolimiter ? « Non, je crois à la bonne foi des députés libanais et du patriarche. Le texte de l’accord affirme que le Liban redeviendra un pays souverain, libre et indépendant. Taëf visait à la restauration de l’État libanais et prévoit le retrait syrien du Liban, et ce malgré toutes les critiques que l’on puisse en faire. La finalité de l’accord, c’est l’indépendance, conformément au texte. Mais le problème, la contradiction structurelle de Taëf, c’est qu’il lie l’indépendance à la présence et à l’aide d’une force externe. En d’autres termes, nous sommes sortis des fondements du pacte de 1943 et de la “double négation”. La dialectique de Taëf est pernicieuse parce qu’elle lie l’entente interlibanaise à une entente libano-syrienne, d’où une négation de la souveraineté. Ce n’est plus un pacte à deux, mais à trois, et certainement pas un pacte d’indépendance nationale. Nous sommes au cœur du schéma hobbésien, parce que la troisième partie, le Léviathan syrien, n’est pas liée au pacte. Les deux parties libanaises abandonnent leur souveraineté pour la confier à une troisième qui n’a rien demandé en principe, mais qui a le droit de tout exiger en retour. Cette troisième partie, Damas en l’occurrence, n’a pas signé l’accord de Taëf. Le problème qui se pose à partir de là est le suivant : Peut-on confier la restauration d’une démocratie à une dictature ? Je me demande dans quelle mesure une complémentarité entre un régime libéral et un régime socialiste, entre une démocratie et un régime de parti unique, peut exister. Il faudrait que les États aient au moins une certaine cohérence constitutionnelle et politique. »
Éléments de solution
Quelles solutions à l’inexistence de l’indépendance libanaise ?

« Dans l’état actuel des choses, il existe deux solutions : la première option serait de négocier avec la Syrie – et je ne vois pas pourquoi Damas négocierait avec nous, dans le sens où le Liban n’est qu’un élément-objet de la négociation, et pas une partie avec laquelle on négocie. La deuxième option voudrait que toutes les solutions pour autonomiser la solution de la crise libanaise – accord du 17 mai d’une part, l’option souverainiste pure et le sursaut aouniste de l’autre – aient échoué. Nous sommes aujourd’hui un État lié dans la négociation avec les autres. Il convient, autant que possible, de passer ce cap difficile où nous ne pouvons pas obtenir une solution pour nous-mêmes et par nous-mêmes. Nous sommes un peu tributaires d’une solution régionale. Sauf si, bien entendu, les Libanais veulent s’unir dans un projet commun, se définir de manière autonome, libre et indépendante, s’entendre sur le rejet de toute influence externe, pour pouvoir bâtir un véritable État. Mais il semble qu’ils n’en sont pas là ». Un message à adresser aux jeunes, concernant le sens à donner à leur engagement, par exemple ? « Un pays ne se sauve que par lui-même. Le contexte favorise, mais il faut qu’il y ait une volonté de s’unir pour s’en sortir. La politique, c’est aussi la synergie des volontés, le fait de la multitude. L’entente est nécessaire. Il ne faut pas qu’elle soit unanimiste. Dans les démocraties, il y a un élément qui permet la diversité, la contradiction et le particularisme des opinions : c’est le débat critique. Nous avons peur du débat, parce qu’après une période de débat sauvage, nous avons assimilé une culture autoritaire, celle des régimes qui nous entourent, et notamment de la Syrie : une culture de servitude. Il est désolant d’entendre ce discours politicien selon lequel seul un pays qui parle d’une seule voix est uni. Ce n’est pas vrai. Dans les démocraties, à côté du pluralisme du débat, il y a un autre pôle qui fait l’unité du pays, c’est la citoyenneté, ou l’acceptation de vivre dans un État selon la loi et le droit, et d’avoir une allégeance à un seul État. Puis, par suite, de mener, dans le cadre juridique, constitutionnel et politique de la citoyenneté, tous les débats démocratiques, qui sont du fait même pluralistes », répond-il. Et M. Maïla de conclure : « Je crois que les jeunes Libanais devraient se polariser sur l’idée d’une citoyenneté unique, non communautaire, fondée sur la règle de droit. Nous aurons un cadre régulateur, le droit. Et c’est cette culture de la citoyenneté et des droits de l’homme qui pourra peut-être rétablir la culture de l’indépendance. Il faut agir : l’histoire pourra peut-être nous trouver des circonstances atténuantes, mais elle ne nous pardonnera jamais notre passivité et notre silence. »
Une question de frontières
Il est certains politiques, à l’instar de Walid Joumblatt, qui pensent que l’existence du Liban est tributaire des rapports de force régionaux et internationaux. Mais Joseph Maïla affirme ne pas croire à « ce type de discours politicien ». Pourtant, d’aucuns affirment que le Liban est né dans un contexte régional et international précis... « Tous les États naissent dans un contexte régional et international précis », répond-il. « Il ne faut pas se complexer avec ces questions. 99 % des États du monde et 100 % des États du tiers-monde ont des problèmes de souveraineté et ont été créés après la guerre. La Syrie constitue-t-elle une entité ? Qu’en est-il de l’Irak ? De tous les États de la région, le Liban a eu le mérite d’exister comme noyau central du Mont-Liban. Il a eu une existence historico-légale. C’est un exemple unique dans la région, avec l’Égypte et le Maroc. Ce sont des États dont les frontières et la légalité ont des fondements historiques. Regardons autour de nous : jusqu’à présent, il existe une guerre sur les frontières d’Israël. Les conflits irako-iranien et irako-koweïtien ont porté sur la question des frontières, et il en est de même pour la revendication syrienne sur le sandjak d’Alexandrette et pour la question de l’État palestinien », indique Maïla. Et d’ajouter : « Nous, Libanais, sommes un peu durs avec nous-mêmes alors que nous sommes dans la situation la plus banale, la plus commune de la quasi-totalité des États nés après 1920. »
Contre « l’aspect punitif » du Syria Accountability Act
« Il n’y a pas de débat politique au Liban ».

Le constat de Joseph Maïla est affligeant. « Dans les simili-débats politiques qui se déroulent au Liban, il y a une espèce de hold-up qui est fait sur les concepts, lesquels sont utilisés de manière instrumentale et volontairement faussée. Au niveau de la souveraineté, l’on prétend que nul n’est souverain dans le monde moderne, et le problème est aussitôt immédiatement relativisé. La complémentarité économique est jugée fondamentale ? L’on se retrouve donc avec un régime qui nous impose des choses à sens unique. Les termes du débat sont faux, d’où la nécessité de dire qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond et de sortir des discours idéologiques », affirme-t-il. « En fait, la crise se situe au niveau de la démocratie, pas au niveau des concepts. Le débat doit être démocratique. Or on nous impose les concepts et les termes du débat. Par conséquent, on nous impose le débat. Pour ce qui est par exemple du Syria Accountability Act, lequel est à caractère punitif vis-à-vis de la Syrie, nous n’avons pas à entrer dans le débat. C’est la Syrie qui nous mêle au débat, en affirmant que Damas et Beyrouth sont contre cette proposition de loi », précise-t-il. Et de poursuivre : « Il faut se méfier du Syria Accountability Act. C’est une erreur de dire que les États-Unis exigent le départ de la Syrie. Personnellement, je suis en faveur d’un retrait syrien. Mais maintenant que Washington réclame le retrait syrien, je constate aussi a posteriori que si les forces syriennes sont au Liban, c’est avec l’accord américain. Entre 1989-1991 et 2003, ils n’ont pas demandé aux Syriens de partir. En d’autres termes, la Syrie, de par son attitude, accrédite l’idée qu’elle est au Liban avec la permission des États-Unis. Une idée qui, par ailleurs, la dessert particulièrement. » Et de conclure : « Il existe deux manières de percevoir le Syria Accountability Act. La première position est solidaire de la Syrie, et c’est celle du régime libanais. L’autre position tient compte du contexte de régionalisation des problèmes, de l’influence hégémonique et inacceptable des États-Unis, des questionnements américains à l’adresse de régimes sur la transparence politique, l’appui à des mouvements qualifiés de “terroristes”, la démocratisation des régimes... L’injustice du Syria Accountability Act ne tient pas à la mise en accusation du régime syrien mais à l’absence de mise en accusation du régime israélien. C’est la partialité du jugement et non sa pertinence qu’il faut remettre en question. Je suis contre l’aspect punitif, agressif, qui braque inutilement et sans horizons politiques. Il fait partie d’une politique de sécurité américaine fondée sur la méconnaissance des droits. La sécurité est nécessaire, mais il ne faut pas oublier la justice. Or les Américains sont injustes avec la Syrie, et favorables à Israël. Par ailleurs, les thèmes posés par le Syria Accountability Act doivent rebondir dans la région, en incluant la question du retrait israélien des territoires occupés, l’édification de l’État palestinien et le règlement du sort des réfugiés. Cette proposition de loi permet au moins de constituer un agenda des problèmes à traiter. »


Cinquième rapport de l’Observatoire de la paix civile au Liban:
Chose publique en régression et citoyenneté en alerte

L’Observatoire de la paix civile au Liban, créé en 1999 et qui relève de la Fondation libanaise pour la paix civile permanente, vient de publier, pour la cinquième année consécutive, son rapport annuel, fruit d’une « grille de 120 indicateurs du pacte libanais de coexistence », d’une recherche documentaire et d’un débat groupant plus de vingt universitaires, chercheurs et acteurs sociaux. Il ressort du rapport que les autorités publiques véhiculent des valeurs négatives et que des problèmes d’intérêt général sont souvent confessionnalisés dans un but de blocage, de clientélisme ou de profit. Une situation de non-droit qui, avec les événements du 7 août 2001, garde un impact fort négatif quant à la participation citoyenne et la confiance dans les institutions. Par contre, la société, en 2002-2003, à travers les manifestations et les rites de commémoration du 13 avril, affiche plus d’immunité et une nette contrition à l’encontre d’une mécanique historique de répétition d’une guerre civile ou interne. Le texte est centré sur trois points : l’inventaire des faits préjudiciables à la consolidation de la paix civile, les actions positives en faveur de la coexistence et les perspectives d’action. En voici les principales observations résumées par le professeur Antoine Messarra :
Insatisfaction et affaiblissement des défenses civiles
Le rapport relève sept faits principaux :
1. Insatisfaction démocratique :
il ressort de plusieurs enquêtes, dont celle de l’Observatoire de la démocratie au Liban, un haut niveau d’insatisfaction démocratique, génératrice de frustration, d’un syndrome de perte de confiance et de dé-participation.
2. Politique du déni :
le Liban n’a pas encore effacé de sa mémoire les souvenirs de la guerre de 1975-1989, qualifiée encore pudiquement d’« événements ».
3. Régression de la chose publique : le discours sur l’unité nationale et l’intégration camoufle le fond du problème, qui réside dans la promotion de l’espace public, des intérêts vitaux, communs, quotidiens et partagés.
4. Politisation confessionnelle des clivages:
ce processus consiste à donner un cachet confessionnel à un problème d’intérêt général dans un but de mobilisation, de blocage ou de profit. Il s’accentue par l’effet du repli ou de la subordination des syndicats et des partis. C’est ainsi que des problèmes sont posés, non en eux-mêmes, mais de façon détournée.
5. Régression des défenses de la société civile :
les syndicats, et principalement la CGTL, qui avaient mené une résistance civile contre la guerre, connaissent une léthargie nuisible à la vitalité de la société civile.
6. Intolérance parmi la jeunesse : des manifestations de fanatisme sont dues notamment à des cloisonnements dans des ins
titutions scolaires et universitaires, mais aussi à des phénomènes mondiaux de repli identitaire. Il ne faut pas cependant exagérer le phénomène, car le Liban demeure dans toute la région l’espace privilégié et concret d’un dialogue intense et quotidien.
7. Blocage des nouveaux programmes d’enseignement de l’histoire :
ces programmes, élaborés dans les années 1996-2000 sous l’égide du professeur Mounir Abou Asli et qui sont le fruit d’un consensus en profondeur, ont été bloqués, bien qu’ils aient été approuvés par décret.
Contrition et conflit intraconfessionnel
Le rapport relève cinq points positifs dans la consolidation d’une culture de paix civile :
1. La commémoration, qualifiée cette fois de contritionnelle, du 13 avril.
2. La solidité du patrimoine constitutionnel libanais malgré les assauts d’une gouvernance débridée.
3. La prédominance d’une compétition intraconfessionnelle, familialiste et tribale plutôt qu’interconfessionnelle.
4. Les programmes entrepris par le ministère d’État pour la Réforme administrative.
5. L’absence du pari extérieur en vue d’une exploitation de la scène libanaise pour opérer un changement régional, la scène libanaise n’étant plus considérée politiquement « rentable ». Mais le Liban demeure cependant otage d’un conflit régional.
Culture et mémoire pour demain
Le rapport propose dix perspectives d’action :
1. Institution de rites de commémoration et de contrition nationale : il s’agit surtout d’étendre ces rites dans les différents mohafazats, d’aménager un musée de la mémoire et la poursuite de la réclamation d’un monument au centre-ville pour les disparus.
2. Inventaire de la littérature vivante sur la guerre : cet inventaire est en cours d’élaboration dans le cadre de l’Observatoire avec un projet de publication d’une « Anthologie sur l’autre visage du Liban ».
3. Épuration des vocables et des concepts : une certaine terminologie, comme confessionnalisme, réconciliation nationale, dialogue national..., n’est pas toujours innocente. Elle se déploie souvent de façon conflictuelle, polémique et programmée.
4. Mise en application des nouveaux programmes d’histoire : cette application devrait cependant être entreprise conformément à l’esprit de ces programmes, à la méthode de leur élaboration et grâce à un leadership consensuel et avisé.
5. Appellation nominative des choses et des personnes : les critiques répétées contre « l’État » cachent une dérobade dans la détermination des responsabilités. Si un fonctionnaire municipal faillit à sa tâche, on incrimine « l’État », le pacte national... Si le clientélisme sévit, on impute la responsabilité à la IIe République de Taëf... Il en découle que tous les problèmes de bonne gouvernance sont noyés dans des récriminations et des généralités équivoques sur le Pacte et la Constitution. Une telle pratique, qui déculpabilise les politiciens au pouvoir, est incompatible avec les principes de contrôle et de transparence.
6. Pas de repli dans l’action civique : des expériences récentes et comparatives, dont celle de Leoluca Orlanda, dans la ville de Palerme (Italie), montrent les chances de la résistance civile contre de puissants réseaux de mafia. Il ressort de l’expérience qu’il ne peut y avoir de repli dans l’action civique et qu’il faudra « informer et remoraliser la société ».
7. Service militaire : des expériences cumulées devraient être analysées dans le but de dégager des orientations et des pratiques qui consolident l’expérience libanaise de convivialité auprès de la jeune génération.
8. Promotion du débat public local et d’une culture d’autonomie : ce débat, surtout au niveau municipal, avec des réalisations apparemment modestes, redonne confiance et « capacitation » à une population désengagée, déçue ou blasée. Le clientélisme et la politisation confessionnelle, le plus souvent artificielle, des clivages menace la paix civile.
9. Réconciliation des religions avec les chartes internationales des droits de l’homme : un des moyens pour contrer le fanatisme et les replis identitaires au nom de la religion réside dans la promotion de l’engagement des instances religieuses en faveur des chartes des droits de l’homme.
10. Fondements culturels de la politique extérieure : si on appréhende au plus haut point les répercussions de tout conflit régional sur le Liban, c’est que le Liban a besoin de développer une culture de prudence dans les relations extérieures et une culture à la fois isolationniste et progressiste : isolationniste en quelque sorte par le souci de prémunir le pacte interne de coexistence, et progressiste quant à la foi dans le message international et arabe du Liban. Il faudra aussi exorciser la propension à la « complotite » dans notre représentation de la politique étrangère et à propos de tout fait international.
En conclusion, il ressort du rapport que la vraie renaissance a toujours été culturelle. Les révolutions subites et violentes n’ont réussi à consolider les grands principes démocratiques proclamés qu’après un patient processus culturel.

L’équipe de l’Observatoire de la paix civile (2002-2003)
Tony Atallah, Marie-Thérèse Khair Badawi, Nabih Badawi, Siham Bawab, Haïfa Cortbawi, Maha Haddad, Saeb Itani, Abdo Kahi, Hyam Kahi, Fadia Kiwan, Mohammed el-Masri, Antoine Messarra, Evelyne Messarra, Walid Moubarak, Mona Nader, Antoine Seif, Jeannette Seif, Hala Soubra, Haya Ziadé et Tarek Ziadé

Francophonie et francophonie
par Georges Saad
Maître de conférences à la Filière francophone de Droit de l'Université Libanaise

Les Libanais aiment la France, mais ce n'est plus puisqu'elle est la " mère-patrie ", notion vague et combien lourde, maintenant démystifiée en grande partie. On aime ce pays, je crois, pour les valeurs qu'il représente (démocratie, égalité, liberté..). Une décision judiciaire comme celle de la fermeture de la MTV n'a pas en principe droit de cité au pays de Robespierre. Pour les intellectuels et universitaires la France est bien plus que cela. Pour un juriste par exemple le droit français est un passage obligé. Et à force de lire des arrêts français on se met à connaître les personnes, les juges, les endroits..

Comme en France les libertés individuelles et publiques existent bel et bien, fût-il dans leur sens formel et bourgeois (c'est déjà copieux), alors un juriste va se familiariser avec ce contexte libéral.. et l'on retrouve la même chose dans les autres domaines : lettres, histoire, sciences et surtout art..
Ceci est encore plus vrai pour les Libanais qui depuis leur petite enfance ont appris à aimer la langue de Lamartine et dans leur jeunesse étudié en français les mathématiques, la physique, la chimie, et bien ententu la poésie de Corneille et de Racine.. De plus la France sur le plan de la politique étrangère est en général bien appréciée face à un Buch déchaîné dans ses campagnes violentes. Le lien étant créé, il faudrait maintenant moissonner..

Cependant, mondialisation oblige, à côté d'autres raisons, la France a perdu une part de son impact et de son crédit.. Les Français eux-mêmes se mettent à travailler l'anglais pour pouvoir naviguer sur internet. Au Liban de plus en plus l'anglais prime et c'est la langue choisie pour les tout petits dans des écoles jadis complètement francophones. Mais la France, à raison, depuis quelques années essaie de regagner sa place et de répondre à l'attente de beaucoup de Libanais. D'énormes efforts (de l'AUF notamment) ont abouti, au plaisir des francophones libanais. Seulement le malade guéri a besoin d'un contrôle continu.
A mon sens maintenant le problème n'est pas la francophonie au Liban mais " quelle francophonie au Liban? ". Si la " francophonie-langue " est sauvée il faudrait se pencher sur l'élaboration d'un nouveau concept de la francophonie en harmonie avec le contexte actuel et l'évolution des choses de la vie.. M'estimant un garçon passablement honnête, humaniste et profondément francophone, voici comment je définis la francophonie, non sans un peu d'humour libanais.. ?
L'arrêt " Morsang-sur-Orge et Brassens
La francophonie pour moi c'est aimer les chansons de Renaud et même chanter par exemple " ma gonzesse.. ", ou celles de Brassens " quatre-vingt-dix-neuf pour cent des femmes s'emmerdent en baisant.. ", mais aussi beaucoup d'autres chanteurs.. La Francophonie c'est pour moi un arrêt du Conseil d'Etat français comme " Morsang-sur-Orge " de 1995 où le juge administratif a estimé que jouer avec un nain est contraire au principe de la dignité de la personne humaine.. Ou encore " Magierra ", 28 juin 2002, AJDA, juillet-août, 2002 (sur le droit à un procès équitable).
La francophonie pour moi c'est pouvoir aller d'un bistrot à un autre à Belleville, aux Champs-Elysées ou à la Bastille, dans une ambiance libérale, très mixte et décontractée… C'est aller dans un gîte dans la Drôme avec une amie sans qu'on vous demande l'original de l'acte du mariage.. C'est voir des manifestations partout, une opposition politique libre d'agir et de dire ce qu'elle pense.. C'est pouvoir lire, écrire et regarder des films sur la croyance ou l'athéisme, c'est pouvoir passer de France-inter à Radio libertaire..
C'est surtout ne pas voir le même crâne au pouvoir, et le fils, et le fils du fils à n'en pas finir.. C'est ce centre culturel français de Beyrouth avec ses journaux et livres de toutes les couleurs, et sa cafétéria, mignonne, des journeaux, café bon et pas cher, ce qui contraste avec les chers et peu bons.. Enfin n'exagérons rien.. j'idéalise un peu exprès.. et ça fait du bien de gonfler parfois les choses pour faire parvenir un message.
La francophonie c'est ne pas fermer une télévision, quelle que soit la raison, c'est faire taire ces hypocrites, ces judas qui veulent bien se faire naturaliser français, accepter l'aide de la France mais lui refusent d'exprimer son opinion sur la fermeture de la MTV. Je pourrais être de l'extrême gauche, mais sur ce point je suis farouchement pro-ingérence de la France dans ces affaires, car justement ces affaires (la liberté d'opinion) ne sont pas intérieures.. cela concerne l'humanité en ces temps où le monde devient un grand village..

Le droit à l'ingérence
Au contraire donc, la francophonie, sur le plan des libertés et de la tolérance, doit foutre son nez là où il faut.. Paris2 pour le Liban c'est un peu s'approcher de l'Union Européenne et en Europe maintenant tout le monde s'ouvre sur tout le monde et s'immisce.. Vive l'ingérence pour sauvegarder les libertés. La francophonie doit pouvoir dire non, comme cette petite boulangère de ce petit village de Saint-Gervais sur Roubion dans la Drôme qui vocifère : on ne touche pas au pain monsieur.. En effet, les libertés, la démocratie, on ne touche pas..
Si la francophonie se contente de nouer de bonnes relations politiques, commerciales et culturelles en fermant les yeux sur des pratiques qui heurtent l'exigence minimum des droits fondamentaux, et sur le plan des libertés en général au pays du cèdre comme sur celui de la démocratisation de l'institution universitaire de nombreux Libanais se fâcheront.. La francophonie doit enseigner qu'en France les responsables, dans beaucoup de cas, on les élit, ou on les recrute sur concours. Sinon l'institutionnalisation " à la libanaise " sera un bon alibi pour mieux accaparer, opprimer, terroriser..

La France, ce n'est pas encore la cité idéale mais quand même..
On sait que la France souffre de beaucoup de maux, ce n'est pas encore la cité idéale, y compris au niveau des libertés et de l'égalité.. Cependant, quand même !, un minimum a été acquis, consolidé. Ce minimum, on le veut au pays du cèdre absolument, au moins comme il l'était avant cette p.. de guerre... Pourquoi certains gens au pouvoir prendraient volontiers le dernier Ericsson qui sort et refusent de prendre un produit déjà ancien (la tolérance)... La francophonie est invitée à devenir plus curieuse, indiscrète, encore faudrait-il savoir si réellement elle le veuille.. La francophonie, ce devrait être ce minimum de liberté et de tolérance, et ce n'est qu'après que viendra tout le reste.. Et C'est à mon avis un tout.. à prendre ou à laisser..


LA GUERRE DES HOMMES ET LA GUERRE DES IDEES

Par le Professeur Pascal MONIN

" La guerre, c'est la guerre des hommes. La paix, c'est la guerre des idées ", écrivait Victor Hugo. C'est un véritable duel que se livrent aujourd'hui la France et les Etats-Unis. A la logique d'une " guerre préventive " est venue s'opposer la logique de paix et du droit international. L'issue de cette bataille diplomatique est scellée, les Etats-Unis sont déterminés à s'engager dans un conflit armé en Irak en dehors de l'ONU et de la légitimité internationale. Conflit dont on ne peut présager ni des conséquences ni des prolongements, ni même de la fin comme toute aventure militaire. Par contre ce dont nous sommes sûrs, c'est que cette guerre va non seulement entraîner ses lots de destructions, de morts, de réfugiés et d'horreurs, mais aussi va représenter un grave tournant dans l'histoire de l'humanité. Les Etats-Unis s'apprêtent à appliquer la doctrine de la prévention qui bouleverse la conception traditionnelle de l'autodéfense et est en contradiction flagrante avec la charte de l'ONU. Mais pourquoi les Américains veulent-ils aller jusqu'au bout de cette logique ? Comment sommes-nous passés d'une logique de désarmement à une logique de guerre ?
C'est bien un principe impérial qui définit la politique américaine aujourd'hui. Aucune nation n'a été aussi dominante culturellement, technologiquement, militairement et économiquement depuis l'empire romain. Les Etats-Unis ont des troupes aux quatre coins du monde. Leurs intérêts sont planétaires. Ils tirent les ficelles partout et sont devenus le principal organisateur du monde contemporain. La guerre contre l'Irak traduit cette réalité de l'hyper puissance incontestée que la notion même d'empire ne suffirait plus à définir et qui n'ont plus à s'encombrer ni de coalitions, ni de droit international... Un empire, c'est une ambition, c'est une satisfaction de soi et un prosélytisme qui risquent d'entraîner le monde trop loin. C'est une " guerre de l'axe du Bien contre l'axe du Mal " qui est proclamée par le Président américain. Voici donc l'affrontement présenté en termes moraux et en un concept simpliste. Pour Georges Bush et son équipe, la victoire de l'an 2000 n'est pas le fruit du hasard mais la volonté de la divine providence. Ils se croient donc investis d'une mission sacrée : apporter au monde la liberté, la démocratie et le libéralisme ! Fort de ses convictions, croyant en son messianisme et soutenu par des conseillers conservateurs, voire fondamentalistes pour certains, le Président Bush va donc, rapidement déclencher les hostilités avant de lasser son opinion et de compromettre les chances de sa réélection. Au-delà du renversement de Saddam Hussein c'est donc l'avenir du Moyen-Orient qui est en jeu.
La victoire du Bien sur le Mal certes, mais aussi en finir avec le conflit israélo-arabe et la deuxième Intifada, protéger Israël et lui assurer sa sécurité, s'assurer la main mise sur une des régions les plus riches en pétrole et surtout sortir de la récession et du marasme économique que connaissent les Etats-Unis : Voici les vraies raisons de la guerre. On ne peut donc se passer d'explications économiques pour justifier le déclenchement de ce conflit. Guerres et cycles économiques sont étroitement liés et la guerre en Irak vient à nouveau renforcer cette thèse.
Face à cette détermination américaine, la conjonction des efforts de la France, marqués par une intervention remarquable de son Ministre des Affaires Etrangères à l'ONU, la diplomatie du Vatican et les millions de manifestants à travers le monde sont venus rappeler à l'administration américaine l'existence d'un droit international et la naissance d'une sorte de citoyenneté planétaire. C'est un moment unique de l'Histoire où à travers la planète un front antiguerre, sans précédant, s'est constitué. De New-York à Bagdad en passant par Paris, Londres, Rome, Berlin, Madrid, Le Caire ou Melbourne des millions de voix ont dit non à la guerre. C'est la première fois que l'opinion publique internationale manifeste aussi massivement et de façon unitaire pour la Paix. Dans cette période d'incertitudes, cet élan spontané, cette formidable solidarité des peuples est un magnifique espoir pour l'avenir, pour l'après-guerre et une réponse claire à la théorie du Choc des civilisations et des cultures. C'est un des rares moments comme on en connaît peu dans l'Histoire des peuples. Ce mouvement déborde largement du cadre traditionnel du pacifisme ou de l'antiaméricanisme. C'est un ultime défi lancé à la guerre et aux dirigeants bellicistes. Le Président Chirac s'est retrouvé en phase avec cette opinion pour éviter les ravages de cette guerre. Car, au-delà de ses intérêts pétroliers et politiques, la position de la France est un formidable rejet de cette vision unilatérale du monde.
La France fidèle à son humanisme et aux principes des droits de l'homme mène, avec principalement l'Allemagne, la Russie et le Vatican, ce combat pour que le droit international ne se réduise pas à la raison du plus fort. C'est une question de principe, la France n'a pas cédé. Jacques Chirac vient de marquer l'histoire de son empreinte. Fidèle à la conception gaullienne des affaires du monde, il a plus que quiconque su faire bouger les lignes et transcender les différents clivages. La France a fait clairement le choix de la Paix et s'y tient. Même si le conflit est devenu inéluctable, Chirac, tout comme Jean-Paul II, sont des artisans de la Paix recherchant la justice, le respect du droit international et le respect du multilatéralisme. L'Histoire leur donnera raison.
Cependant, de nombreuses incertitudes demeurent quant aux conséquences de cette guerre asymétrique caractérisée par une disparité et un déséquilibre des potentiels. L'enlisement n'étant pas à exclure, la guerre sera-t-elle longue ou de courte durée ? L'avenir politique de Tony Blair ou de José-Maria Aznar, voire de Georges W Bush ne se jouent-ils pas actuellement ? Le remodelage du Moyen-Orient va t-il se réaliser selon les plans de Washington ? Va-t-on assister à l'éclatement de l'Irak et d'autres pays de la région puis au règlement du conflit israélo-arabe ? Quelles seront les retombées du bras de fer que se livrent la France et les Etats-Unis ? Quel avenir pour la construction européenne et le rôle des futurs Etats membres ? Quelle place restera t-il à l'Onu et au Conseil de Sécurité dans la gestion des affaires du monde ? Qu'en est-il de l'avenir de l'Otan ?
Les retombées de la fin de la guerre froide et de la disparition de l'URSS sur les relations internationales, sur le fonctionnement de l'Onu et de ses institutions qui n'ont pas eu lieu dans les années 1990, vont semble-t-il trouver leur traduction en ce début du XXIème siècle. " La vie est un récit insensé fait de bruit et de fureur déclamé par un acteur fou ", écrivait William Shakespeare. Il ne fait plus de doute que les Etats-Unis sortiront vainqueurs de ce conflit. Mais se pose déjà le problème de l'après guerre. Sauront-ils gagner la paix ? Rien n'est moins sûr. Pr. Pascal MONIN



LE LIBAN FRANCOPHONE:

UN ESPACE DE DIALOGUE ET UN LABORATOIRE POUR L'UNITE DANS LA DIVERSITE



PAR LE PROFESSEUR PASCAL MONIN *


Retour sur l'évènement
Du 22 au 25 Novembre 2002:


16ème édition du
Mondial de la
Publicité Francophone à Beyrouth
sur le thème:


La Francophonie en Images:
"Au delà des mots"

Rencontre Internationale des professionnels francophones de la communication, le Mondial de la Publicité Francophone organise sa 16ème édition à Beyrouth-Liban à l'occasion du Sommet de la Francophonie


Nous reproduisons ici l'intégralité de l'intervention originale de Mr Pascal Monin lors du 16 ème Mondial de la Publicité Francophone, le 23 Novembre 2002

Monsieur le président, Mesdames et messieurs, Chers amis,

Tout d'abord, je voudrai vous dire ma joie de participer à cette table ronde et adresser mes remerciements aux organisateurs de ce mondial, en particulier au président et membres du mondial de la publicité francophone et à l'infatigable francophone Ibrahim Tabet et toute l'équipe de l'Association au Liban, pour le remarquable travail accompli, et pour tout ce qu'ils accomplissent pour placer la publicité sous le signe de la francophonie, porteuse de valeurs déterminantes pour la paix et la coopération internationale en ces temps difficiles pour le monde et la région du Moyen-Orient en particulier. Permettez-moi également de saluer la présence, si précieuse et enrichissante du Professeur Francis Balle parmi nous à l'occasion de ces assises. Qu'il me soit donc permis de lui rendre hommage pour ses qualités humaines, sa grande culture et tout ce qu'il a fait et continue à faire pour la recherche sur les médias et le secteur de la communication…

Il y a quelques semaines, pour la première fois, un sommet de la francophonie s'est tenu sur une terre arabe. Le thème du dialogue des cultures qui a marqué cet événement s'est avéré des plus judicieux dans un contexte international marqué encore par les conséquences des attentats du 11 septembre 2001. La richesse du pays du Cèdre demeure ainsi sa spécificité culturelle face à un monde de plus en plus uniforme. Le Liban est l'un des plus fidèles prometteurs du projet francophone qui est centré sur l'indispensable diversité des cultures et des langues. Il favorise leur respect mutuel, leur dialogue et leur interaction. Il représente ainsi à lui seul cette admirable synthèse culturelle, cette terre de brassage et d'échanges. Toute l'histoire du Liban, pays au confluent des civilisations, est donc placée sous le signe de la communication. Propagateur de l'alphabet phénicien, centre de l'édition du monde arabe et vivier de talents de communicateurs et de créatifs, le Pays du Cèdre a porté à l'Occident la sensibilité et la spiritualité orientales et a transmis à l'Orient arabe les hautes valeurs de la civilisation occidentale. Ce rôle de médiateur, le Liban l'a assuré et l'assume toujours grâce à son pluriculturalisme, son ouverture aux autres civilisations, son multilinguisme, son économie libérale, et sa liberté d'expression qui le distingue de ses voisins, malgré les tentatives pour y porter atteinte. Les Libanais jouissent donc encore d'une certaine liberté d'expression, qui n'est pas à négliger, au travers de moyens de communication de masse, dont certains, sont francophones et parmi les plus respectueux ou les plus importants du Moyen-Orient. Quel formidable exemple de tolérance et d'ouverture face aux idéologies qui s'estompent, aux intégrismes qui guettent et à la vision simpliste d'un monde unilatéral.
La langue française demeure la première langue étrangère en usage au Liban, malgré de nombreuses difficultés. 45% de la population libanaise est entièrement ou partiellement francophone. Les anglophones représentent quant à eux près de 30% de la population. Il apparaît donc clairement que la langue française, grâce à son implantation historique et s'appuyant sur un vaste réseau d'enseignement scolaire et universitaire francophones, garde une longueur d'avance sur l'anglais. Mais quelle place occupe la langue française, au niveau mondial, dans cette véritable révolution que représente le mariage de la transmission par satellite, des réseaux et de l'Internet à grande vitesse, ce qui augmente considérablement les possibilités de communication ? Et qu'en est-il au niveau de la communication médiatique, notamment publicitaire ?

Au Liban, comme partout dans le monde, le statut et l'avenir d'une langue et même d'une culture se mesurent à leurs usage et présence dans les différents moyens de communication. L'enjeu est de taille en ce nouveau millénaire et dépasse les particularismes de la situation du Liban. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont devenues les armes d'une certaine forme de mondialisation qui aspire à uniformiser les esprits, les goûts et les couleurs. Malgré les aspects positifs en matière artistique, de formation et d'éducation, le danger plane sur un monde en proie aux multiples manipulations et qui risque de se déshumaniser. Le monde de la communication et des médias est bouleversé par les opérations de concentration, de fusion et par les révolutions technologiques.
La perspective de voir l'anglo-americain monopoliser les nouvelles technologies de l'information et de la communication et de s'y faire le propagateur d'une seule culture et d'une seule vision du monde est bien réelle. Il est donc nécessaire de promouvoir un réel espace francophone dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication et de favoriser la place du français sur les inforoutes, par souci du respect du pluralisme culturel et pour encourager la coopération entre les espaces linguistiques. Seul le français, langue de culture, langue des idées, langue des droits de l'homme et langue de communication, peut le permettre. La francophonie, c'est le respect des identités face aux dangereux effets de la globalisation des réseaux, face à l'émergence d'une communication monde, selon l'expression d'Armand Mattelart, et face à la culture Mc World, selon Benjamin Barber. Culture, dont l'objectif est une société universelle de consommation où le pluralisme des valeurs et de la liberté de choix n'existe plus. Liberté de choix que ne peut que protéger le discours de la publicité francophone.
C'est pour toutes ces raisons, qu'aujourd'hui, plus que par le passé, le Liban se doit de conserver sa spécificité et son multilinguisme. Cette diversité culturelle, ce dialogue des cultures, sont des cartes non négligeables que le Liban se doit de continuer à nourrir et à développer dans cette région. C'est son rôle de médiateur, sa richesse essentielle. Dans ce cadre, le Liban a de nombreux atouts dans les domaines de la communication, dont il demeure un des leaders au Moyen-Orient. Comme le rappelle le Recteur de l'Université Saint Joseph de Beyrouth, le Père Sélim Abou : " la francophonie se veut un rempart contre l'hégémonie d'une seule langue et le règne d'une pensée unique. Aussi se donne-t-elle pour principe d'action prioritaire la promotion de la diversité linguistique et culturelle. Les Libanais, dit-il, peuvent être trilingues ou polyglottes, mais ce qui a contribué à forger leur identité nationale, c'est le français dans sa conjonction étroite avec l'arabe. Aux cotés de l'arabe, langue officielle du pays, le français est vécu non seulement comme langue de communication, mais aussi comme une langue de formation et de culture à portée identitaire ". Le Liban a donc toutes les possibilités et même la vocation à devenir le pivot des pays arabes dans les secteurs de la communication et des nouvelles technologies. Ceci est possible en s'appuyant sur le haut niveau d'instruction de sa population, sur son savoir-faire en matière de médias ou de publicité et sur l'immense talent de ses hommes de communication. Par manque de temps, je n'aborderai pas ce matin la situation du français dans les médias, support indispensable pour le développement de la publicité francophone. Dans la publication faite à l'occasion de ce mondial, j'y reviens longuement. En tout cas dans ce secteur, la situation du français est très préoccupante et appelle à des actions urgentes pour favoriser l'accès à l'information en langue française, en plaçant des réseaux francophones sur "Internet", en formant des spécialistes aux nouvelles technologies et en renforçant la place du français au niveau des médias et de la communication publicitaire.

Mais quand est-il au niveau de la publicité, ce domaine clés de la communication de masse qui nous rassemble aujourd'hui?
La publicité fait partie intégrante de notre univers. Nous vivons dans un environnement où la publicité est omniprésente. A la télévision, à la radio, au cinéma, dans la presse où l'affichage, sur Internet, sur les transports en commun, sur la route, dans tous les secteurs de la vie quotidienne, la publicité est omniprésente. Dans notre pays, il est intéressant de relever que l'écrasante majorité des agences de publicité au Liban ont été créée par des Francophones. Jusqu'en 1975, Beyrouth était le centre régional de la publicité des pays arabes. Avec le déclenchement de la guerre, la majeure partie des agences de publicité s'expatrie vers d'autres pays de la région. Mais le lancement des médias audiovisuels privés au Liban depuis 1985 a encouragé les agences de publicité à relancer leurs activités. La prolifération des médias a entraîné systématiquement le développement de ce secteur. Aujourd'hui, Beyrouth tente de retrouver son rôle moteur de la publicité proche-orientale. D'ailleurs la grande majorité du personnel travaillant dans ce domaine à travers les pays de la région sont des Libanais. Télévision, radio, presse, affichage, cinéma, PLV, sponsoring... se partagent plusieurs millions de dollars américains investis dans ce domaine. Ces investissements publicitaires indiquent l'essor considérable qu'a connu le monde de la publicité au Liban et son rayonnement depuis ce pays sur le Proche-Orient. Mais suffisent-ils à faire vivre toutes les publications ou médias audiovisuels du marché libanais, d'autant plus que depuis 1997, les investissements publicitaires accusent une inquiétante régression ?
Pourtant, l'univers médiatique et publicitaire au Liban, malgré les années de guerre, fait preuve d'une grande vitalité et la création dans ce domaine reste l'une des plus importantes des pays de la région. Beyrouth est aujourd'hui l'une des capitales où se développent des campagnes publicitaires pour les pays arabes. Ceci a entraîné le recours de plus en plus à la langue anglaise aux côtés de l'arabe, au détriment du français. Car, avec le développement de la diffusion d'émissions par satellite auxquelles participent de nombreuses chaînes de télévision libanaises, l'arrière plan de la publicité au Liban reste par excellence les pays du Proche-Orient. A signaler le renforcement des activités de l'IAA au Liban, Association Internationale de la Publicité, dont trois Libanais ont présidé à ses destinées mondiales, notamment, un de nos publicitaires les plus brillants et les plus talentueux, l'homme aux multiples facettes et à la grande vision d'avenir : Jean-Claude Boulos qui en est le président depuis le mois de mai 2002. Cette même année, le Liban a accueilli le congrès mondial de cette association dont les activités ont eu un grand retentissement. La publicité semble être au Liban un facteur de modernisation. Elle n'est pas un acte purement commercial. Elle peut véhiculer toute une culture. Elle est avant tout une information, même s'il s'agit parfois d'une information orientée. Elle tient compte des réalités sociales et communautaires du pays, et ce n'est pas une mince affaire au Liban. Elle diffuse même parfois des valeurs communes à toute la société dans sa diversité. Nous pouvons en citer le patriotisme, le civisme… D'ailleurs nous n'avons pas encore observé au Liban le développement de mouvements anti-publicitaires comme c'est le cas en Europe. Au contraire, les Libanais semblent percevoir la publicité d'une manière positive. Certes, de temps à autres, certains dignitaires religieux dénoncent telle ou telle campagne qu'ils jugent indécente mais, pour le moment cela reste sans conséquences notables. De même l'importance de la publicité pour les médias qui ont besoin de ses ressources pour survivre, n'est plus à démontrer. Les ressources publicitaires assurent aux médias une indépendance, en leur permettant de se soustraire à l'argent politique ou celui des groupes de pression.
La publicité s'inspire essentiellement du modèle de la société de consommation occidentale, où dominent les références anglo-saxonnes. Elle tente d'uniformiser en quelque sorte les comportements des consommateurs. Les métiers liés au domaine de la publicité sont directement influencés par les méthodes américaines. Pourtant, la majorité des dirigeants des agences de publicité au Liban sont francophones, également la majorité des créatifs qui y officient. De l'aveu même des responsables de la création publicitaire au Liban, la demande pour la publicité anglophone et arabophone destinée aux supports audiovisuels est beaucoup plus importante que celle en langue française. Les annonceurs s'adressent à travers la publicité à leurs clients potentiels en arabe, en français et en anglais. Mais dans ce domaine, la langue de Molière subit une concurrence de plus en plus agressive, surtout au niveau de la télévision. Sur une période de huit ans, la langue française a régulièrement perdu du terrain au profit de l'arabe et de l'anglais. Ainsi selon mes recherches, on remarque qu'en 1992, 13% des publicités à la télévision étaient en français. En 2000, elles ne représentaient plus que 8% du total. La langue arabe, sous ses deux formes : littéraire ou dialectal, est la plus utilisée au Liban pour les films publicitaires. Avec un total de 64% en 2000, elle devance considérablement les autres langues dans ce secteur. Les annonceurs ont recours à la langue maternelle pour atteindre le plus grand nombre de personnes. L'arabe est surtout la langue des publicités pour les produits de grande consommation : lessives, produits d'entretien, alimentation... L'anglais est la deuxième langue des publicités à la télévision mais loin derrière l'arabe. Cette langue a connu une progression régulière et représente 16% du total des campagnes à la télévision. Mais c'est l'arabe qui demeure la langue de prédilection des publicités à la télévision. En effet, avec le lancement des chaînes libanaises par satellite, l'usage de l'arabe, et dans une moindre mesure l'anglais s'est renforcé dans ce domaine. D'une manière générale, le français est de moins en moins perçu au Liban comme vecteur efficace de la publicité télévisuelle. Son emploi est surtout remarqué pour les films vantant les qualités des produits de luxe (parfums, accessoires, bijoux...), de l'habillement, des produits cosmétiques (crèmes de beauté, maquillage) et des arts de la table (argenterie, cristallerie...). L'anglais est la langue notamment des publicités pour les cigarettes, les voitures, le matériel électronique, la promotion des films de cinéma et l'alcool, sauf le vin où le français est en général utilisé et pour l'arak où c'est l'arabe. Concernant la publicité dans la presse, nous enregistrons le même phénomène du recours à l'anglais dans 34% des cas contre 25% au français et 40% à l'arabe. Pourtant, dans ce secteur, le français semble garder une bonne place. Ainsi, la création de nombreuses publications francophones a dynamisé quelque peu l'usage du français pour la publicité destinée à la presse. Mais, ceci n'empêche pas pour autant le recours de plus en plus fréquent aux publicités en langue arabe ou anglaise dans la presse francophone libanaise. Pour réduire les dépenses et cédant à la facilité, les publicitaires ont de plus en plus recours à l'anglais, sachant qu'ils pourront toujours atteindre les francophones qui comprennent l'anglais. C'est dans ce cadre que se place l'action de l'Association des publicitaires francophones au Liban avec pour objectif : promouvoir la communication publicitaire et les médias francophones. La langue et la culture françaises perdent donc peu à peu leurs atouts dans le secteur de la communication au profit du modèle anglo-saxon. Les métiers de la communication, surtout la publicité, "s'américanisent" inévitablement. Cependant, le français semble résister mieux à cette poussée au niveau de l'écrit que dans celui de l'audiovisuel ou de l'Internet. La vitalité de la presse francophone libanaise doit favoriser en quelque sorte le maintien de la langue française dans ce domaine. Par contre, la faiblesse de la présence francophone dans les médias audiovisuels libanais facilite la poussée et le développement des autres langues. Cette situation pourrait encore s'aggraver si la fermeture de la MTV, chaîne partiellement francophone, se poursuivait. Au-delà du choix de la langue, au-delà des mots, le secteur publicitaire se trouve au Liban à la veille de décisions cruciales et face à de nombreux défis. En effet, le gouvernement libanais réfléchit à une nouvelle loi et de nouvelles réglementations concernant la publicité. De même, ce secteur est directement lié au projet d'abrogation des agences exclusives qui pourrait avoir des conséquences sur la survie et la liberté des médias qui vivent essentiellement des revenus publicitaires.
Comment préserver alors à notre pays ses atouts en matière de création publicitaire et en matière de médias ?
Comment doter ce métier d'une loi moderne et juste sans porter atteinte à la liberté de création et de diffusion ?
Quel avenir pour la publicité politique ?
Faut-il doter ce secteur de codes d'éthiques et de règles déontologiques pour éviter aux pouvoirs publics de s'en mêler ? Autant de questions que je vous livre et dont dépend en partie l'avenir de ce secteur.

En définitive, et pour conclure, nous pouvons affirmer que la généralisation des nouvelles technologies, en particulier le numérique et le multimédia, conduit à un rapprochement inéluctable entre les télécommunications, l'informatique et les médias. Dans ce cadre, "Internet" et les inforoutes représentent pour la langue française, au niveau des contenus des programmes ou des encarts publicitaires diffusés, un des enjeux majeurs pour la francophonie. Ainsi, l'impact de la globalisation des moyens de communication, et plus spécifiquement à l'échelle de la francophonie, s'avère pour l'instant bénéfique à la culture anglo-saxonne et peu propice au développement du français. "Internet" est donc dominé par les Américains, tant au niveau de la technologie, que des logiciels et des contenus.
Le français au niveau des médias et de la publicité rencontre une multitude de défis et de nombreuses difficultés, non seulement au Liban, mais aussi à travers le monde.
Le français est-il devenu l'arme de culture du passé, comme se demandait le journaliste Guy Mettan, ici même lors du XIème mondial ?
Le cas du Liban, pays au cœur du dialogue des cultures et des civilisations, dément cette idée. Communiquer ne veut pas dire consommer mais rencontrer, informer, dialoguer et échanger.

Les nouveaux moyens de communication qui se basent sur le modèle américain nous mettent-ils en présence les uns des autres ? Nous rapprochent-ils réellement ?
Nous permettent-ils d'avoir un vrai partage ?
Nous permettent-ils de respecter et de mieux connaître les autres civilisations et cultures ?
Nous permettent-ils d'être librement et correctement informés ?


Il s'agit de ne pas confondre les moyens et les fins. Un vieil adage nous apprenait que l'on est transformé à l'image de ce que l'on regarde. Pourquoi nous laisserions-nous déposséder de nos valeurs et de nos cultures ? Au-delà des mots, à côté de ses capacités descriptives, la langue française est aussi une langue d'action, de construction et d'aspiration au progrès humain. C'est la langue de la création, de l'esprit, du dialogue, de la paix et de la tolérance. La culture francophone est un rempart contre les excès de la mondialisation, cette nouvelle forme d'hégémonie. Elle est la garantie de la rendre plus humaine et accessible. Le français, langue de la liberté et des droits de l'homme, permet une ouverture aux autres, le respect des valeurs essentielles, le droit à la différence et au pluralisme. Tout comme la francophonie, " la publicité, comme l'écrit Anne Sauvageot, donne leur forme aux idées et aux rêves. Tout en se nourrissant aux sources mythiques les plus lointaines, elle propose l'ébauche de nouvelles visions du monde ".
C'est cela le mariage de la francophonie et de la publicité, au-delà des mots…

PROFESSEUR PASCAL MONIN



Dr. Pascal Monin est Professeur à l'Université Saint Joseph de Beyrouth et Directeur du Département Information et Communication. Il est Conseiller du groupe IPSOS-STAT, membre du Comité scientifique du Réseau d'Observation du français et des langues nationales dans le monde de l'Agence Universitaire de la Francophonie et membre de l'Association des publicitaires francophones. Il est Docteur Ès Lettres et Sciences de l'Université Paris-Sorbonne et l'auteur de nombreux rapports, articles et études sur les médias et la communication, la francophonie et les relations franco-arabes.

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Les maronites, une entité pleinement arabe et pleinement chrétienne


8 Février 2003 - Courrier de Sylvain Thomas

En fait de minorité, les maronites forment aujourd’hui la grande majorité chrétienne du Liban et se trouvent au Liban puis dans la diaspora. Mais à l’origine, cette communauté se limitait aux disciples d’un saint ermite nommé Maroun. Il vivait au IVe siècle dans une cabane auprès d’un ancien temple païen qu’il avait consacré à Dieu. Il était l’ami d’une grande figure de la chrétienté, saint Jean Chrysostome. Lorsque celui-ci dut s’exiler à la fin de sa vie, il écrivit à saint Maroun pour se recommander à ses prières. À la mort de saint Maroun, vers 410, un monastère fut édifié sur sa tombe, dans la région d’Apamée, au bord de l’Oronte. Des laïcs se placèrent sous la direction des moines. On désignait les uns et les autres par des périphrases. Par exemple : « ceux du monastère de Maroun ». En définitive, la formule courte « maronites » prévaudra. Jusqu’ici, cependant, les maronites n’ont rien de particulier. Tous les chrétiens de Syrie sont, pour ainsi dire, logés à la même enseigne. La division causée par le concile de Chalcédoine donne aux maronites l’occasion de se distinguer des réfractaires jacobites (qui défendent le « monophysisme » et qui formeront l’Église syrienne). Tandis que les couvents se multiplient (de même que les heurts avec les « monophysites »), la communauté maronite acquiert une réelle autonomie. Cette autonomie culmine avec la création d’un patriarcat indépendant, entre 702 et 712 environ, alors que les troubles politiques ont laissé vacant le Siège d’Antioche. Á l’occasion de cet établissement officiel, la discipline et la liturgie prennent une forme fixe. Il est difficile d’apprécier dans quelle mesure elles ont innové à partir d’un fond commun (la 1re messe célébrée par saint Paul à Antioche). Les transformations au gré des régions et des couvents étaient d’ailleurs tout à fait admises. Quoi qu’il en soit, l’Église maronite possède désormais un caractère qui lui est propre. Une gigantesque œuvre anonyme intitulée la Chronique syriaque atteste également d’une production littéraire dès le VIIe siècle. À cette époque, les maronites disposent d’une force armée que les chefs de l’aristocratie terrienne mettent au service du gouvernement byzantin, comme s’ils traitaient d’égal à égal. Au détour des occasions, ils absorberont des Araméens, des réfugiés ou des Mardaïtes, ces redoutables mercenaires chrétiens. Les maronites sont déjà devenus une véritable nation. Aujourd’hui, les différentes communautés confessionnelles chrétiennes, musulmanes et druzes composent le Liban.
Les chrétiens Libanais s’affirment pleinement arabes et pleinement chrétiens.



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