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Bienvenue sur VISIONS ARABES. Vu de France et d'Occident en général, le monde arabe apparait souvent bien compliqué et irrationnel tant dans son fonctionnement
que dans l'enchainement et le rythme temporel des évènements.

Visions Arabes a pour but principal d'apporter un éclairage original prioritairement
à travers des analyses et opinions de spécialistes issus du monde arabe lui-même.
Comme, le plus souvent, celles-ci sont issus de la presse ou de la blogosphère arabe,
il est nécessaire d'en saisir les subtilités grâce à une maitrise absolue de la langue arabe. Leurs auteurs peuvent vivre sur place ou être "exilés" en Occident ou même ailleurs.

Voilà pourquoi Visions Arabes propose de développer une interactivité entre la connaissance de la langue et des opinions averties venues le plus souvent d'Orient.


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Le terme Jihad ou Djihad a repris une place prépondérante dans les médias depuis plusieurs mois.
Si au cours des
précédentes décennies on l'utilisait le plus souvent à travers l'expression "Jihad Islamique", principalement pour évoquer un mouvement ou une action politique, les récents évènements, notamment en Syrie et en Irak, mais aussi leurs répercussions rapides dans les pays occidentaux ou résident de nombreux jeunes musulmans ont fait naître de nouvelles expressions comme "Appel au Jihad" ou encore "Faire son Jihad"
Ainsi, dans le Coran, le mot jihad prescrit avant tout à l’être humain de lutter et de faire l’effort constant afin d’atteindre et de demeurer dans le droit chemin.
Si dans l'arabe courant, ce terme de Jihad évoque précisément la notion d' "Effort", il parait nécessaire d'apporter un éclairage plus précis concernant son utilisation actuelle dans la sphère religieuse et le Coran.
C'est ce que nous propose ici l'auteur, César Sakr, en remontant aux sources de ce "Jihad moderne".


Aux sources du Jihad moderne


Le Salafisme
L’adjectif « salafiste » est un emprunt à l’arabe, salaf, qui désigne les Anciens, les ancêtres.

Ce terme est opposé à khalaf qui désigne les descendants, les successeurs.

L’opposition salaf / khalaf n’est qu’apparente. On s’attend, dans la tradition arabe, à ce que le khalaf
(le successeur) se montre digne de son salaf (prédécesseur).

C’est donc dans la continuité qu’est conçue la paire salaf / khalaf .
Et c’est dans cette continuité, ce désir des successeurs de ressembler à leurs prédécesseurs,
que s’inscrit le mouvement salafiste.

À l’époque moderne, le salafisme est un réformisme islamique né en Égypte à la fin du XIXe siècle visant à régénérer l’Islam par un retour à la tradition que représentaient les « pieux anciens » de la foi des débuts
(Voir Encyclopédie de l’Islam, « Salafiyya » ; « Salaf & khalaf »).

Le Hanbalisme
Pour forger une norme juridique en Islam, on a d’abord recours au Coran.
Si le Coran, dans l’un de ses versets, s’exprime sur la question, c’est le verset qui fait loi.
Par contre, si le Coran reste muet sur la question, on regardera les propos du Prophète.

À défaut, on regardera le consensus des Compagnons du Prophète ou celui des docteurs de la Loi.
Et, à défaut, on forgera la norme sur le même modèle que les normes similaires, par analogie :
Tel est le cas de l’interdiction des drogues qui ne figure dans aucune des trois sources citées ci-dessus mais qui peut, par analogie, être dérivée de l’interdiction de l’alcool, puisque les drogues, comme l’alcool,
provoquent l’ivresse et doivent donc être interdites.

Aujourd’hui, parmi les Sunnites du monde entier, subsistent quatre écoles juridiques dont la plus radicale est sans conteste l’école Hanbalite (du nom du juriste Ibn Hanbal, mort en 855).
Voici ce qu’en dit Henri de Waël (Le droit musulman, Henri de Waël, CHEAM / La Documentation française, Paris, 1989, pages 19 & 24) : « Très rigoriste – c’est l’école intégriste – elle correspond à un violent courant
de réaction religieuse, et se distingue par une méfiance invincible à l’égard de la raison humaine. »

Dans le Hanbalisme, le raisonnement par analogie (qiyas) est quasiment banni,
car impliquant une intervention de la raison humaine.

En Arabie Saoudite, les musulmans sunnites suivent cette école très conservatrice.
Henri de Waël écrit encore :
« Les conceptions hanbalites, bien qu’elles bénéficient d’une autorité juridique
officielle en Arabie Saoudite et au Qatar, ne sont guère suivies que par un centième
à peine des musulmans ».


De ce fait, tout mouvement issu de ces deux pays, l’Arabie Saoudite et le Qatar, ne
peut qu’être empreint de ce conservatisme aussi exacerbé qu’ancien.

Le Wahhabisme
Un prédicateur du XVIIIe siècle est à l’origine du renouveau hanbalite dans la
péninsule Arabique. À ce sujet, Dominique Chevallier (Encyclopædia Universalis,
« Wahhabisme », Paris, 2011) écrit :

« En 1810 paraissait à Paris un livre intitulé Histoire des Wahabis, depuis leur origine
jusqu'à la fin de 1809. Son auteur, Louis-Alexandre de Corancez, consul général de
France, avait suivi les routes caravanières de Bagdad à Alep. Le « wahhabisme » tire
son nom du prédicateur musulman Muhammad ibn ‘Abd al-Wahhab (1703-1792).
Mais ses disciples ont récusé cette appellation, ils se sont eux-mêmes désignés
comme les Ahl al-Tawhid, « les gens de l'Unicité » (de Dieu). À l'orientaliste Henri
Laoust, nous devons cette définition du wahhabisme : « Mouvement à la fois
religieux et politique, arabe et musulman, le wahhabisme s'est assigné
essentiellement pour but [...] de construire un État sunnite qui se fût étendu non
seulement au Nadjd mais à l'ensemble des pays arabes, de restaurer l'Islam dans sa
pureté première, en luttant contre toutes les innovations suspectes ou les
superstitions populaires et en se laissant de larges possibilités d'expansion comme au
temps des Compagnons [du Prophète].

Issu d'une famille de religieux de Uyaïna, oasis du Nadjd, région centrale désertique
de la péninsule arabique, Muhammad ibn ‘Abd al-Wahhab acquit sa science
musulmane dans de célèbres mosquées-universités à Médine, à Bassora, à Bagdad,
peut-être à Hamadan, à Ispahan, à Qom, puis à Damas et au Caire. Dans ces
contrées de l'Empire ottoman et de la Perse safavide, il jugea que l'islam s'était avili
parmi des populations sédentaires et superstitieuses, parmi des aristocraties raffinées
et laxistes. Il leur opposa une prédication fondée sur la pureté doctrinale telle que
l'avait énoncée Ahmad ibn Hanbal (mort en 855), le dernier et le plus rigoriste de
quatre grands imams fondateurs des écoles juridiques sunnites de l'islam. (…)

Le prédicateur condamnait toutes les formes de culte invoquant des intercesseurs,
telles les réunions autour des tombes d'hommes saints (marabouts) et les
cérémonies d'exaltation mystique du chiisme et du soufisme. Il fit couper des arbres
sacrés et détruire les coupoles surplombant des sépultures vénérées. Il exhorta à la
pureté par la sévérité des mœurs. Pour réduire les résistances, il rallia Muhammad
ibn Saoud, l'émir de Dariya, au nord de Riyad. Cette alliance fut décisive car elle
permit à ce chef arabe de transformer son pouvoir tribal en une mission théocratique.
Jusqu'à nos jours, la famille Saoud s'est appuyée sur l'enseignement de Muhammad
ibn ‘Abd al-Wahhab pour justifier son autorité. »

Il en ressort que la famille royale saoudienne s’appuie sur le Wahhabisme qui est un renouveau du
Hanbalisme rigoureux et du salafisme (« comme au temps des Compagnons du Prophète »).
Citons un autre auteur de l’Encyclopædia Universalis, Yves Thoraval (Encyclopædia
Universalis, « École Hanbalite », Paris, 2011) :

« La plus dogmatique et la plus puriste des écoles de jurisprudence de l'islam sunnite,
le Hanbalisme est fondé sur les enseignements de l'imam Ahmad Ibn Hanbal ;
ce dernier, partisan de l'origine divine du droit, rejetait par là même l'opinion personnelle, le raisonnement par analogie et le dogme du mu'tazilisme, influencé par l'hellénisme, comme si la spéculation humaine ne pouvait qu'introduire des innovations pécheresses par rapport au Qur'an (Coran) et aux Hadiths.

C'est donc sur une interprétation très littérale et très stricte des textes sacrés que les Hanbalites fondent leur jurisprudence. Populaire en Iraq et en Syrie jusqu'au XIVe siècle, l'approche juridique hanbalite a repris vie, au XVIIIe siècle, avec le wahhabisme d'Arabie centrale, qui s'est beaucoup inspiré du hanbalite
Ibn Taymiyya (1263-1328).

L’école hanbalite est encore la doctrine juridique officielle de l'Arabie Saoudite actuelle. »


Ibn Taymiyya
Ce théologien musulman (né en 1263 et mort en 1328) est l’auteur, entre autres
œuvres, d’un court traité de droit musulman légitimant l’acte kamikaze !

Pour Ibn Taymiyya, l’acte kamikaze n’est pas un suicide (proscrit par la religion)
mais un acte de bravoure suprême dans le jihad, un martyre prisé par Allah.

Le titre de ce bref traité de droit musulman légitimant l’acte kamikaze commence par
le mot arabe al-Qa`idat (qui signifie « la règle » juridique en droit musulman). Il
s’agit de la règle juridique légitimant l’acte kamikaze. L’ouvrage est soigneusement
édité en Arabie Saoudite.

Voici la couverture de l’ouvrage d’Ibn Taymiyya justifiant (voire glorifiant)
religieusement l’acte kamikaze en Islam :


Tout en haut de la couverture ci-dessous, figure le mot Qaida ; et, ...

... tout en bas, l’expression « adwa’ al-salaf » qui signifie « les lumières des anciens ».
Le salafisme est justement cette remise à l’honneur des premiers musulmans, de leur pureté originelle …


Pour comprendre l’idéologie d’al-Qaida et de l’État islamique, par exemple, il faut garder à l’esprit
ce quadruple retour en arrière :



Le salafisme, qui est la fidélité à la religion pure des Anciens, au VIIe siècle ;
 Le hanbalisme, école juridique méfiante de la raison humaine, au IXe siècle ;

Le wahhabisme rigoureux d’Arabie, au XVIIIe siècle

La justification religieuse de l’acte kamikaze, par Ibn Taymiyya au XIVe siècle ;

L’État islamique partage avec al-Qaida ce quadruple (et lourd) héritage.


César SAKR
22 Octobre 2014





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Dessous des Cartes - Qu'est ce que le salafisme ?


POURQUOI LE MONDE ARABE SEMBLE OBSÉDÉ PAR LES THÉORIES DU COMPLOT ?
Ce « profond mépris pour le jihadisme »


L'État islamique (EI) est-il une création de l'Arabie saoudite, de la Turquie, des Américains, d'Israël, du régime syrien ou de l'Iran ? À écouter les dénonciations des uns et les rumeurs répandues par les autres, il apparaîtrait presque légitime de se poser cette question qui soulève pourtant de nombreuses incohérences géopolitiques. Légitime, non seulement parce que les États se sont ouvertement et mutuellement accusés de porter la responsabilité de la genèse de ce mouvement jihadiste, mais surtout parce que pour de nombreuses chancelleries et pour de nombreux analystes, il semble jusqu'alors inimaginable qu'un groupe comme l'EI puisse acquérir une telle puissance sans être instrumentalisé, voire même télécommandé par un État.

À partir de cette logique, difficilement contestable dans l'absolu, naissent et se propagent par les différents canaux médiatiques des théories du complot qui rendent la situation encore plus illisible et servent parfois les intérêts de l'EI. Abou Bakr al-Baghdadi, dit le calife Ibrahim, s'est d'ailleurs ironiquement moqué de ses représentations antinomiques en déclarant que les Américains et les Saoudiens les combattaient parce qu'ils les accusaient d'être manipulés par l'Iran ; que l'Iran, l'Irak et le régime syrien les combattaient parce qu'ils les accusaient d'être manipulés par les Américains ; que les rebelles modérés les combattaient parce qu'ils les accusaient d'être des agents de Bachar el-Assad, et qu'al-Nosra et les salafistes les combattaient parce qu'ils les accusaient d'être des agents du baassisme.

Pour Romain Caillet, chercheur spécialiste sur les questions islamistes, les théories complotistes qui accompagnent bien souvent les analyses sur le jihadisme mondial trouvent leur origine dans une incapacité à penser le jihadisme comme une idéologie à proprement parler. « Il y a deux théories qui s'opposent mais qui mènent sensiblement aux mêmes conclusions. L'une est façonnée par les néoconservateurs et assimile le jihadisme à un mouvement irrationnel. L'autre, qui véhicule l'idée que les barbus sont l'instrument des Américains, s'appuie soit sur un discours islamophobe (plutôt d'extrême droite) qui explique que "les Arabes ne sont pas capables de faire ça tout seuls", soit par un discours islamophile qui prétend que "les Arabes ne peuvent pas commettre de telles horreurs sans être instrumentalisés par une puissance extérieure" », analyse M. Caillet. Les théories du complot qui accompagnent la montée en puissance de l'EI semblent donc essentiellement s'expliquer par ce que M. Caillet appelle « un profond mépris pour le jihadisme ».

Si la pensée politique dans le monde arabe est « pathologiquement touchée » par le conspirationnisme, qu'en est-il des milieux jihadistes ? Ces théories, dont ils sont une des cibles, connaissent-elles un semblable succès chez les jeunes de l'EI ? D'après Romain Caillet, il est essentiel de préalablement distinguer les jihadistes européens et les jihadistes arabes pour répondre à cette question. « Les premiers ont très mal réagi à la diffusion des théories complotistes après le 11-Septembre. Ils se sont braqués et ont vu ça comme une insulte », explique-t-il. Aussi, puisque les théories du complot les discréditent, « ils ont tendance à ne pas les utiliser, pour se différencier de leurs détracteurs », précise-t-il encore. Au contraire, les jihadistes arabes sont plus sensibles à ces théories, selon l'expert. « L'idée d'un complot judéo-maçonnique est assez répandue dans ces milieux. Ils accusent également l'Iran et le Hezbollah d'être à la solde d'Israël », rappelle M. Caillet.

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10 Novembre 2014


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