Le
" Printemps arabe " : État des lieux
Face
au " Printemps arabe ", nous constatons des positions
contrastées dans la zone arabe :
Certains
pays ont connu un changement de régime en faveur des Frères
Musulmans, habilement soutenus par la force de frappe médiatique
que fut alors le Qatar, avec sa puissante chaîne al-Jazeera
: La Tunisie en est l'exemple. En Libye, en revanche, il fallut
un sérieux coup de pouce (de nature militaire) pour y arriver.
Un
pays a connu le même changement de régime en faveur
des Frères Musulmans, mais les événements
ont ensuite basculé vers une restauration de l'ancien régime
: En Égypte, le président élu et pro-Frères
Musulmans Morsi fut destitué par le retour au pouvoir des
militaires, soutenus par l'Arabie Saoudite.
La
Syrie, appelée à connaître le même changement
de régime en faveur des Frères Musulmans, résiste
encore. Elle subit actuellement l'hostilité de ce qui reste
de Frères Musulmans, ainsi que celle de groupes armés
soutenus non seulement par l'Arabie Saoudite, mais également
par Israël. La nouveauté est que les groupes armés
liés aux Frères Musulmans syriens subissent aussi
le feu des groupes armés liés à l'Arabie
Saoudite. Nous avons, ici, une " triangulaire " !
Le
régime syrien est redevable, dans sa résistance,
au soutien direct de la Russie, de l'Iran et du Hezbollah libanais,
ainsi que du soutien au moins diplomatique de la Chine, des autres
pays du BRICS, etc...
Face
au " Printemps arabe ", le gouvernement turc n'oublie
pas son appartenance idéologique à la mouvance des
Frères Musulmans. Turquie et Qatar soutiennent les factions
militaires rattachées aux Frères Musulmans
en Syrie.
Les
Palestiniens du Hamas, eux-mêmes Frères Musulmans,
ont également soutenu la vague du " Printemps arabe
". Expulsée de Damas, leur direction s'est réfugiée
au Qatar.
Il
y aurait, ainsi, deux axes dans cette affaire : L'axe des Frères
Musulmans qui appelle aux soulèvements du
" Printemps arabe " (Qatar, Turquie, Hamas
) ;
et l'axe des Conservateurs qui s'y oppose et souhaite le maintien
des régimes arabes en place (Arabie Saoudite, EAU
),
d'où le soutien de cet axe à la restauration en
cours au Caire.
Ces
deux axes s'opposent militairement en Syrie, mais font quand même
la guerre au régime en place.
En
effet, la Syrie est actuellement le lieu d'une double contradiction
:
Puisque
la famille royale de l'Arabie Saoudite est opposée au "
Printemps arabe " et favorable au maintien des régimes
en place, pourquoi prend-elle le relais des Frères Musulmans
dans la guerre contre
le régime syrien ?
Puisque
l'Iran des Ayatollahs est la version idéologique chi'ite
de la pensée des Frères Musulmans, pourquoi l'Iran
uvre-t-il de manière décisive pour le sauvetage
du régime syrien, contrant par la même occasion les
Frères Musulmans sunnites qui tentent de renverser Bachar
al-Assad ?
Il
semble donc que les alignements idéologiques (Frères
musulmans v/s Conservateurs) n'expliquent pas tout. La géopolitique
reprend le dessus et impose ses règles :
Pour
se préserver d'une attaque israélienne ou occidentale,
l'Iran a développé, aux frontières d'Israël,
une force disposant d'une capacité de nuisance suffisante
pour faire taire toute velléité de s'en prendre
au régime des Ayatollahs. Cette force de dissuasion qu'est
le Hezbollah libanais a démontré, en 2006, sa capacité
de nuire et de dissuader Israël. Or, pour entretenir cette
force qu'est le Hezbollah, l'Iran des Ayatollahs a besoin de la
Syrie pour la logistique, la profondeur stratégique, la
fabrication et le stockage de certains armements destinés
au Hezbollah et, il ne faut pas le négliger, pour disposer
d'un deuxième front contre Israël si, d'aventure,
le front libanais ne suffisait plus. Le Golan occupé et
annexé par Israël peut devenir, en cas de besoin,
un complément utile au Sud-Liban.
Face
à cette nouvelle donne qui compromet sérieusement
sa longue suprématie (voire son impunité) militaire
dans la région, Israël cherche depuis 2006 à
se défaire de la dissuasion iranienne. Or, un changement
de régime en Syrie est, de ce point de vue, bienvenu, car
il compliquerait singulièrement la " continuité
territoriale " de l'Iran avec le Hezbollah et neutraliserait,
par la même occasion, le risque de voir le Golan se transformer
en nouveau front. Nous n'avons pas entendu Israël s'inquiéter
outre mesure du " Printemps arabe " quand celui-ci a
frappé aux portes de la Syrie et, aujourd'hui que le régime
du fils Assad à Damas reprend peu à peu ses esprits,
Israël n'hésite plus à s'impliquer (assez)
ouvertement dans l'effort saoudien visant à le renverser
ou, au moins, à l'enfoncer plus encore dans sa guerre contre
les milices sunnites venues de nombreux pays avec la ferme intention
de le renverser.
Surprise
par la vague du " Printemps arabe " et fort inquiète
de se trouver peut-être sur la liste des cibles, l'Arabie
Saoudite a cherché par tous les moyens à se préserver.
En attendant de se trouver des alliés fiables, la famille
royale consentit d'abord des mesures d'ajustement social à
la hauteur des finances du Royaume. Les caisses s'ouvrirent généreusement
en faveur du bon peuple. Puis les frontières s'ouvrirent
pour ceux des jeunes gens qui souhaitaient exprimer leur trop-plein
d'ardeur religieuse en faisant jihad, par exemple en Syrie. D'où
le rapprochement entre Arabie Saoudite et Israël : L'Arabie
Saoudite trouvait là un bon avocat auprès des autorités
de Washington, fortement soupçonnées d'avoir un
faible pour le " Printemps arabe " des Frères
Musulmans ; et Israël trouvait là un éventuel
bon remplaçant à la première vague armée
(des Frères Musulmans soutenus par la Turquie et le Qatar)
qui n'a pu venir à bout du régime de Damas.
Sans
vouloir étendre le débat aux acteurs internationaux,
disons simplement qu'au Kremlin, on n'a encore pas oublié
le désarroi de l'Armée Rouge face aux barbus armés
en Afghanistan ; le maître du Kremlin lui-même n'oublie
pas non plus le combat qu'il dut mener contre ses propres barbus
armés en Tchétchénie.
En règle générale, la Russie et la Chine
savent satisfaire leurs Musulmans respectifs quand ceux-ci se
comportent de manière " civilisée " ;
mais quand ces Musulmans associent barbes et armes, le ton change
radicalement. Ces deux pays du groupe BRICS ne voient pas d'un
bon il l'émergence - en Syrie ou ailleurs - d'une
troupe aguerrie de barbus armés. Ils savent trop bien à
quoi rime l'émergence de telles troupes.
César
Sakr
1er Juin 2014
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