Les
tensions grandissantes entre Israel et les Palestiniens suite
à la poursuite de la politique de colonisation de Jérusalem-Est
et au récent attentat visant un représentant emblématique
des juifs ultra-orthodoxes surviennent
quasiment vingt ans jour pour jour après les accords
dits de "Wadi Araba" actant les rapports de paix entre
l'état hébreu et le royaume hachémite de
Jordanie. C'est ici l'occasion de rappeler le rôle non
négligeable de la Jordanie dans l'équilibre de
la région comme dans la conscience collective et le destin
du peuple palestinien.
Voilà pourquoi il nous semble opportun de développer
cet aspect de la situation actuelle en apportant un éclairage
original et sans doute essentiel au travers de la traduction,
ci-après, d'un article du chroniqueur jordanien Nahed
Hattar, paru le vendredi 31 octobre 2014 dans le quotidien arabophone
libanais, al-Akhbar.
Lire
cet article en arabe
Wadi Araba : Fin de partie ?
Au
vingtième anniversaire du traité de paix entre
la Jordanie et Israël (26 Octobre 1994), connu sous le
nom
des "
Accords de Wadi Araba ", le roi de Jordanie
Abdallah II et les responsables jordaniens lancent, tant dans
les médias que dans les coulisses politiques et diplomatiques,
une série de déclarations qui expriment leur colère
à l'encontre d'Israël en raison des mesures hostiles
que ce dernier prend à Jérusalem. Mais l'écrivain
israélien Asaf David considère que cette campagne
n'est qu'une " lâche " tentative visant à
amadouer l'opinion publique jordanienne. David écrit
: " Le roi Hussein était un roi arabe ; son fils
Abdallah, par contre, est un roi occidental, ce qui simplifie
les négociations avec lui ; mais cela le dessert dans
sa relation à son peuple, dans ses capacités,
voire dans sa légitimité ". Est-ce bien le
cas, ou sommes nous devant de sérieux changements dans
les relations entre la Jordanie et Israël ?
En
vertu des " Accords de Wadi Araba ", la Jordanie bénéficie
d'un droit souverain sur les Lieux Saints islamiques à
Jérusalem, gérés par des fonctionnaires
des autorités jordaniennes. De même, les Patriarches
[chrétiens] de la Ville Sainte sont confirmés
dans leurs apostolats ecclésiastiques par décret
royal [jordanien]. Aussi, si ce droit souverain - reconnu par
l'Autorité palestinienne en vertu d'un accord bilatéral
- est un symbole de la plus haute importance pour la dynastie
jordanienne et sa légitimité [islamique], il est
également, pour l'État jordanien, un fait politique
majeur cat il reconnaît le rôle de la Jordanie et
garantit ses intérêts lors du règlement
définitif de la question palestinienne. Et, parmi ces
intérêts jordaniens, le sort des réfugiés
et des déplacés [palestiniens], le tracé
des frontières et des points de passage entre Cisjordanie
et Transjordanie, ainsi que l'ensemble des dispositions à
venir avec l'État palestinien.
Tel
était, en effet, le fond des " Accords de Wadi Araba
" conclus en 1994 : La Jordanie reconnaissait de jure l'État
d'Israël, mettait un terme à l'état de belligérance
et aux demandes qui y étaient rattachées, faisait
des concessions en matière de territoire, d'eau et de
défense, en échange de la reconnaissance par Israël
du Royaume Hachémite de Jordanie et de ses intérêts
lors du règlement définitif de la question palestinienne.
La
droite israélienne a longtemps considéré
que la Jordanie n'est que la partie orientale de la " Terre
d'Israël ", et que les Israéliens ont accepté
la partage de la Palestine historique en deux parties : Aux
Juifs, la partie occidentale entre Jourdain et Méditerranée
et, aux Palestiniens, la partie orientale entre Jourdain et
désert. Cette opinion au sujet de laquelle la gauche
israélienne est ambigüe et que de plus en plus de
milieux américains approuvent a toujours inquiété
le régime jordanien qui, dans ces conditions, a vu dans
la reconnaissance du Royaume par Israël un bénéfice
équivalent à la " renonciation pure et simple
au projet de la patrie de substitution ", selon les propres
termes du premier ministre jordanien de l'époque, Abdel
Salam al-Majali. [Note du traducteur : Le projet de la patrie
de substitution est le projet qui consistait à considérer
la Jordanie comme une partie de substitution pour les Palestiniens
qui seraient amenés à quitter tous le territoire
d'Israël].
Mais
ce projet est resté bien vivace ; car, pour l'enterrer,
il eût fallu établir une réalité
politique nouvelle - en Cisjordanie et à Gaza - qui eût
mis fin à l'occupation, aux implantations de colons et
aux agressions ; une réalité qui eût garanti
le droit au retour des Palestiniens ; une réalité
qui eût permis l'établissement d'un État
palestinien souverain, indépendant d'Israël et doté
de relations privilégiées avec la Jordanie. Tout
cela était supposé survenir dans un délai
de cinq après la signature des " Accords d'Oslo
" de 1993, donc en 1998. Nous sommes en 2014, et aucun
de ces vux ne s'est réalisé.
Il
y a aujourd'hui des faits nouveaux qui font dire à Israël
qu'il est temps de solder les comptes. Car l'axe de la résistance
et du refus est pris (et épuisé) par une guerre
défensive contre le terrorisme. Les États de l'ancien
axe des modérés, quant à eux, vivent une
série de crises qui leur enlèvent toute influence
sur la question palestinienne : L'Égypte est saignée
par le clivage politique, le terrorisme et les graves problèmes
démographiques et économiques ; l'Arabie Saoudite,
se sentant menacée par la poussé de l'Iran au
Yémen, au Bahreïn, voire à l'intérieur
du territoire saoudien, se saigne dans des conflits régionaux,
ce qui place la cause palestinienne hors de son champ de priorités.
De ce fait, les Palestiniens et les Jordaniens sentent qu'ils
sont devenus une proie facile pour les dirigeants de Tel-Aviv,
ceux-là mêmes qui ont montré les crocs et
entrepris de solder le dossier de Jérusalem de manière
définitive.
Car
Jérusalem, symboliquement, politiquement et dans les
faits, est l'arène israélienne première
pour s'affranchir des ententes et des accords antérieurs
et pour remodeler le paysage palestinien dans son ensemble selon
les vues de Tel-Aviv : À Gaza, un mini-État apprivoisé
ou encerclé ; en Cisjordanie, après avoir raflé
environ 60 % du territoire, des îlots palestiniens "
autonomes " qui pousseront la population à émigrer
au lieu d'encourager les réfugiés à retourner,
ce qui menace l'existence même de la Jordanie.
Inquiet
d'une possible volte-face israélienne à l'égard
de la Jordanie, Le roi Abdallah II manuvre tous azimuts
et lance une campagne visant à dire aux Israéliens
qu'il possède des cartes qu'il menace d'abattre, telles
que le gel du Traité de paix et de coordination sécuritaire
entre les deux États, tandis que les fuites dans la presse
évoquent sa menace de " constituer un gouvernement
de coalition auquel serait associée l'opposition nationale
", ou de " renforcer ses liens avec l'Iran ".
Il est très probable que le roi jordanien vise à
exprimer son inquiétude face à " l'extrémisme
israélien " qu'il a qualifié, dans un échange
avec des parlementaires, de l'autre face du terrorisme, afin
de mettre la pression sur Netanyahou et freiner ses ardeurs.
Mais le problème est que le projet sioniste à
l'égard de la Jordanie n'est plus la thèse d'extrémistes
qu'un gouvernement israélien de droite peut parfois évoquer
pour des raisons de tactique politicienne ; ce projet représente
désormais une stratégie bénéficiant
d'un consensus israélien qui considère que la
conjoncture actuelle est le moment opportun pour mettre un terme
à la partie qu'Israël joue avec Amman depuis vingt
ans.
Traduit par César
SAKR
3 Novembre 2014
Le 5 Novembre, suite à une escalade des incidents sur
l'esplanade des Mosquées qui se sont étendus à
la vieille ville de Jérusalem, la Jordanie a annoncé
le rappel de son ambassadeur en Israël « pour protester
contre l'escalade israélienne ». Le pays a fait
également part de sa volonté de saisir le Conseil
de sécurité des Nations unies « contre les
attaques répétées d'Israël contre
les lieux saints musulmans ».
L'enchainement des évènements démontre
ici toute la pertinence de l'article sélectionné
et traduit ci-dessus
La révolte de la jeunesse à
Jérusalem peut-elle se transformer en insurrection?
>> Lire
(en Anglais) sur Al-Monitor, "le pouls du Moyen-Orient"
Consultez l'article original d'Al Akhbar en pdf et en intégralité
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