FAIROUZ de Paris à Beiteddine:

Concerts - Evènement et souvenirs de Juin 2002
à l'été 2004
présentation par


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Avril 2004

(Photo Marwan Assaf)
Dans l’église Saint-Élie à Kantari, merveilleusement restaurée, Feyrouz a fait retentir sa voix cristalline.
Beyrouth, 8 Avril 2004 - En l’église Saint-Élie, à Kantari, Feyrouz, accompagnée de sa chorale composée de chrétiens et de musulmans, a chanté devant une foule d’environ un millier de personnes. À la fin de son chant religieux, en arabe et en syriaque, Feyrouz a été très longuement ovationnée par le public. Des centaines de personnes sont restées sur le parvis de l’église maronite, une des plus anciennes de la capitale, pour écouter les chants douloureux du vendredi saint.
On rappellera que Feyrouz a été choisie par Mel Gibson pour la musique de fond de son film « La Passion du Christ », accusé de « maccarthysme spirituel ».
On entend bien la voix de Feyrouz, la grande dame de la chanson orientale véritable symbole de « libanité », dans le film « La Passion du Christ », de Mel Gibson. Il y reprend Ana el-Oum al-Hazina (Je suis la mère triste), à juste titre, comme musique de fond pour la scène du chemin de Croix de son film, qui relate les douze dernières heures de la vie du Christ

Journée d'hommage consacrée, par l’USJ,
à la diva de la chanson libanaise


Si Feyrouz m’était contée...

Parce que Feyrouz, au-delà de sa voix exceptionnelle, est un symbole du Liban authentique, parce qu’elle est une figure reflétant son unité, parce qu’elle a contribué à son rayonnement artistique dans le monde, la jeune génération lui voue une admiration et un respect éperdus. Pour preuve, la journée qui lui a été consacrée par l’USJ, à l’initiative des comités d’étudiants des facultés de droit et de sciences économiques. Une journée qui a débuté par une exposition relatant, à travers les textes et les images, des étapes clés de sa vie et de sa carrière, qui s’est poursuivie par la diffusion, entre deux cours, de ses chansons et qui s’est clôturée par une rencontre avec le metteur en scène Berge Fazlian* qui, en tant qu’ami et collaborateur de longue date de la diva, a répondu aux nombreuses questions des étudiants. Avant la discussion avec Berge Fazlian, une projection d’un documentaire que lui avait consacré Frédéric Mitterrand a retracé les grandes lignes du parcours de Feyrouz. Son amour précoce du chant, sa carrière qui débute en 1947 dans une chorale, où son timbre particulier, tout de suite remarqué, lui ouvre les portes de la radio nationale, et là, sa rencontre avec les frères Rahbani, qui feront partie intégrante de son destin. Puis les grandes dates que tout le monde connaît plus ou moins: la gloire à Baalbeck avant la guerre et les tournées à l’étranger, qui feront d’elle «l’ambassadrice du Liban auprès des étoiles».

Le documentaire de Frédéric Mitterrand
Un beau documentaire, dans lequel l’artiste, connue pour sa discrétion et sa répugnance du vedettariat, livre simplement, sans aucune fioriture, les souvenirs de sa jeunesse et raconte toute une vie vouée au chant. Une interview où l’on découvre quelques facettes ignorées de la grande dame de la chanson libanaise. Sa jeunesse paisible et insouciante dans un quartier populaire de Beyrouth, quand elle s’appelait encore Nouhad Haddad et que, n’ayant pas de radio à la maison, elle écoutait, par la fenêtre ouverte, celle des voisins. Son chant continu, qui interrompait le sommeil diurne d’un voisin, employé de nuit, lequel dans sa colère lui hurlait d’aller faire ses vocalises au conservatoire. Il ne croyait pas si bien dire! Ses vacances auprès de sa grand-mère dans le village de Dibiyeh, où, – comme dans les textes qu’elle interprétera plus tard – elle passait son temps à chanter en allant puiser de l’eau pour les travaux ménagers. Et surtout sa joie de vivre, sa gaieté de jeune fille, occultée aujourd’hui par le visage un peu statufié d’une idole qui n’a jamais recherché la gloire, mais seulement le bonheur de chanter. «Je n’ai rien choisi, confie-t-elle à Frédéric Mitterrand. C’est Assi qui a tout décidé. Il était dur au travail, intransigeant. Je suis le produit de cette rigueur.» Feyrouz raconte sa vie tellement envahie par le chant que tout le reste lui semblait irréel. Les nuits blanches passées en studio, le noyau solitaire qu’elle formait avec les frères Rahbani: son mari Assi, le compositeur, et son beau-frère Mansour, le parolier, qui vont créer la chanson libanaise qu’elle, Feyrouz, portera de sa voix profonde comme un étendard à travers le monde....

* Berge Fazlian a bien connu Feyrouz.
Il a travaillé avec elle et les Rahbani de 1961 à 1975.


Une vie de recluse Feyrouz,
sans aucun doute, la plus grande diva de la chanson arabe d’aujourd’hui, qui a imposé la musique libanaise sur la scène mondiale, reste toujours préoccupée de son public. Prévenue par Berge Fazlian de la rencontre à son sujet avec les étudiants de l’USJ, elle lui a demandé de laisser la parole aux jeunes et de lui rapporter leurs questions, leurs messages. «L’opinion de la jeune génération compte pour elle. Je crois d’ailleurs qu’elle attend aujourd’hui une collaboration avec un jeune compositeur qui respecte son style», a indiqué le metteur en scène, affirmant que «pour Feyrouz le mot est important. Elle chante la poésie». Pour ceux qui lui demandaient pourquoi elle n’était pas elle-même venue à cette journée organisée pour elle, Fazlian a assuré que Feyrouz vivait réellement sa célébrité cloîtrée chez elle, auprès de ses enfants et de ses amis proches. «Elle n’apparaît jamais en public, excepté à l’église d’Antélias, le vendredi saint. C’est une règle absolue chez elle. Elle n’y a jamais dérogé. Elle a ainsi décliné les offres d’un roi arabe qui voulait qu’elle chante dans son palais et celle du président Hraoui qui, recevant l’ex-président Bush senior, lui avait également demandé cette faveur. Feyrouz ne chante pas dans les palais. Elle se produit uniquement sur scène.»

Zéna Zalzal - L'Orient-Le Jour.
La seule fois où elle a chanté pour elle-même...
À un étudiant qui demandait pourquoi elle ne prenait pas fait et cause pour leurs luttes, Fazlian a assuré que, patriote dans l’âme, celle dont la voix charme et unit a toujours refusé toute récupération politique ou mercantile. Pourquoi la compare-t-on souvent à Oum Kalsoum, et quelles sont les différences entres elles? «Ce sont les deux voix qui ont le plus marqué la chanson orientale. Celle de Oum Kalsoum s’attaque à la sensualité de son auditoire, tandis que Feyrouz s’adresse, elle, directement aux émotions.» Égrenant quelques souvenirs, Fazlian a narré, avec émotion, une scène à laquelle il a eu le privilège d’assister. «Nous étions à Baalbeck en train de faire les répétitions de Jibal al-Sawan. En retournant à l’hôtel, à l’aube, vers cinq heures du matin, Feyrouz est entrée dans le temple de Bacchus et s’est mise à chanter, pour elle seule. En plein lever de soleil, c’était un moment magnifique.» Un dernier témoignage donné par Aimée Boulos sur la légendaire discrétion de la star, qui a refusé de parrainer la soirée de remise de diplômes de la première promotion de l’Iesav, pour ne pas voler la vedette aux diplômés dont faisait partie sa fille Rima; et une dernière affirmation fusant de la salle, «Feyrouz a toujours chanté le Liban souverain», ont clôturé la séance. À l’issue de laquelle les étudiants ont remis à Berge Fazlian une centaine de messages, consignés sur un livre d’or adressé à la diva.


Annulation des deux concerts de Fairouz!
LBV/Marseille, le 2 Avril 2004- C'était sans doute trop beau pour être vrai!
deux concerts de Fairouz en France en une semaine, dont un pour le public du sud, au début on croyait à une rumeur; ce n'en était pas une mais à un peu plus de deux mois de leur programmation, la confirmation de la dé-programmation semble définitive et irréversible:
Fairouz ne viendra pas, ne viendra plus?..., chanter en France.Que ses fans se rassurent, elle n'a pas perdu sa voix, mais il semble que les affairistes qui l'entourent soient particulièrement gourmands et procéduriers...Nous vous donnerons davantage d'informations sur les coulisses de ce malheureux incident qui ne se produit malheureusement pas pour la première fois; déjà à Marseille, une annulation de ce type s'était produite il y a quelques années, à quelques jours du concert, et alors que tous les billets étaient déjà vendus.
Cet entourage de la chanteuse est-il conscient qu'il ternit considérablement l'image de l'une dernières divas du monde arabe? La frustration est grande et nous ferons tout pour dénoncer ce manque de respect du public et dénoncer les vrais coupables de tels agissements.

Le communiqué officiel
AFP-6 Avril -La diva libanaise Fairuz, qui devait notamment donner un concert le 25 juin à Toulon, a annulé sa tournée en Europe, a annoncé mardi le centre national de création et de diffusion culturelles de Châteauvallon. Aucune explication n'a été donnée à l'annulation de la tournée de la diva de la chanson arabe qui prévoyait également un concert à Paris, selon la même source. Le centre de Châteauvallon programmera le 25 juin un spectacle au Zénith de Toulon avec Cheb Mami et Cheb Bilal.

FAIRUZ en France!
le 18 Juin 2004 au Palais des congrès à Paris

s'enregister pour réserver

le 25 juin au Zénith de Toulon
*

*Concert unique à 20h30

Assis numéroté : 20 € Avec la carte Chateauvallon : 10 €
RENSEIGNEMENTS 0 800 089 090 (appel gratuit)

La plus grande des Divas de la chanson arabe d'aujourd'hui a imposé la musique libanaise face aux mastodontes du Caire et aux jeunes surdoués du Maghreb. Hypersensible, secrète et opiniâtre, Fairouz ("turquoise" en arabe) traite sa célébrité avec dédaim et refuse toute récupération politique ou mercantile. Issue d'une famille paysanne du Haut Liban qui quitta son village en 1935 pour s'installer dans un quartier populaire de Beyrouth, Nouhad Haddad y passse son enfance, toujours à l'affût de la musique. Sa carrière débute en 1947 dans une chorale ou son timbre vocal particulier, tout de suite remarqué, lui ouvre les portes de la radio nationale....
Deux ans presque jour pour jour après ses deux derniers concerts en France, salle Pleyel à Paris, elle a choisi le Sud de la France pour répandre sa voix;
un évènement à ne pas manquer, que l'on soit libanais ou simplement fasciné par les appels musicaux de l'Orient.
Accompagnée pour un concert unique par un orchestre de 40 musiciens, Fairuz ouvrira l'été de Chateauvallon puisque ce spectacle est organisé par le centre national de création et de diffusion culturelles de Châteauvallon, à Ollioulles (Var), près de Toulon.De quelle plus belle entrée en matière pouvait donc rêver la 54ème édition du Festival de Toulon - Chateauvallon?...

>>> L'histoire du Festival de Chateauvallon depuis 1951

Des Echos sur Fairouz dans la presse française

>>> La tournée de Fairouz en France avec Fairuzonline


Son dernier Concert à Beiteddine en Août 2003

FEYROUZ, Immortelle Diva par



Clôture du Festival de Beiteddine 2003 avec Feyrouz et Ziad Rahbani:
La voix qui transcende tout...
photo d'archives

Telle une énorme lame de fond, la foule, portée par un même élan, s’élance, déferle des gradins les plus éloignés vers la scène. Scandant, hurlant, le nom de son étoile : Feyrouz. Le public de Beiteddine était tout entier jeudi (lors de la première), aux pieds de son idole. Plus de cinq mille personnes, sans compter tous ceux qui s’étaient amassés aux alentours du palais des Émirs, qui communiaient dans une même ferveur à la source d’une voix incomparable transcendant n’importe quel texte, et s’élèvant au-dessus de tout orchestre. Feyrouz, l’unique. La grande dame de la chanson orientale est plus qu’une diva, plus qu’une voix légendaire, un véritable symbole de «libanité», dans son sens – si outrageusement maltraité – de dignité. C’est le constat que fait d’emblée tout auditeur qui assiste pour la première fois à l’un de ses concerts. Lorsqu’elle apparaît, après une heure d’attente, sur le tapis rouge déroulé spécialement pour elle, scintillante dans une robe d’Élie Saab, droite, distante et modeste tout à la fois, les gens se lèvent respectueusement. Dès les premières notes de la première chanson, à juste titre intitulée Idach kane fi nass (Combien de gens...), ils lui font un triomphe. Accompagnée, cette fois, de son fils Ziad Rahbani au piano et de l’orchestre d’Arménie (avec la participation de musiciens libanais, syriens, hollandais et français), dirigé par le maestro Karen Durgaryan à l’éloquence gestuelle et corporelle magistrale, la diva se lance en premier dans un répertoire de chansons romantiques. D’anciens titres réarrangés par Ziad et de nouvelles ballades écrites et composées par lui, au ton évidement plus piquant, comme ce sympathique Hobbaq kane hélou, we sar mech hélou (à l’approximative traduction : Notre amour était si beau et maintenant il sonne faux).

Quasi épidermique
Sa voix de velours, que ses inconditionnels jugent plus grave et plus sensuelle que par le passé, est enveloppante. Elle entraîne chaque personne présente au fond de soi, à travers ces histoires d’hier et de toujours, d’amoureux qui se séparent, de croisée de chemins, de souvenirs et de douce nostalgie. Elle l’envoûte surtout par ses modulations, ses inflexions, son rayonnement qui provoquent une réaction quasi épidermique. C’est par tous les pores de sa peau que l’on écoute Feyrouz. Et lorsqu’elle entonne des hymnes à la liberté et à la dignité, à l’instar du fameux Nachid al-oumamia de Ziad Rahbani qu’elle interprète elle-même pour la première fois, elle attise l’enthousiasme, l’ardeur, le sentiment de rébellion et de fierté blessée du public libanais qui s’enflamme aux seuls mots de «jayi maa el-chaab el-meskine» (Je me place aux côtés du pauvre peuple). Alternant ses apparitions sur scènes – qui n’excédaient pas les dix minutes d’affilée à la grande frustration de ses fans les plus ardents ! – avec les mordantes compositions de Ziad interprétées par un excellent groupe de chanteurs, la grande Feyrouz a tenu sous son charme, profond et mystérieux, durant plus d’une heure trente minutes, un public composé aussi bien de fidèles nostalgiques que de jeunes adorateurs. Lesquels, complètement subjugués, captivés, en délire, l’ont longuement bissée en vain, à la fin du premier rappel, pour qu’elle ne file pas sous leurs yeux. L’étoile.

Zéna ZALZAL

 

La voix de l’Orient

Dix ans après sa dernière apparition parisienne, Fairuz, la plus grande diva de la chanson arabe, se produira les 27 et 28 juin sur la scène de Pleyel. Un événement salué ici par celui qui, sur Arte, lui consacra un magnifique portrait

Par Frédéric Mitterrand*

Fairuz: elle est la plus grande des divas de la chanson arabe d’aujourd’hui et elle a imposé la musique libanaise face aux mastodontes du Caire et aux jeunes surdoués du Maghreb. Hypersensible, secrète et opiniâtre, délicieuse pour ceux qui ont gagné sa confiance, elle traite sa célébrité avec dédain et refuse toute récupération politique ou mercantile. Fairuz, c’est le Liban; sa géographie, son histoire.
Enfant, elle passait ses vacances chez sa grand-mère, à Dibiyeh, un village chrétien de la montagne; quelques maisons de pierre granitique autour d’une église dont le carillon sonne les heures. Les Druzes musulmans habitaient celui d’à côté, mais ce n’était pas chacun chez soi car on allait constamment de l’un à l’autre pour la récolte des olives, le dur travail de terres escarpées, les deuils et les fêtes. Un paysage de Méditerranée à l’antique, idéal de beauté lumineuse et cependant austère et dur, avec la mer en contrebas. La grand-mère avait passé quelques années en Amérique, elle racontait le vaste monde à sa petite-fille, et cet enracinement des Libanais qui mettent tant de courage à émigrer et tant de persévérance à pratiquer la nostalgie du sol natal.
Durant le reste de l’année, c’était Beyrouth, la mosaïque de communautés différentes, bien plus nombreuses et enchevêtrées que le résumé d’une simple ligne de partage entre chrétiens et musulmans. Au quartier populaire d’Al-Basta, où se côtoyaient les Arabes maronites évangélisés par les apôtres, les chiites fuyant la misère pour tenter leur chance à la ville, les Arméniens rescapés des massacres ottomans, les familles sunnites patriarcales, toute une humanité solidaire à qui la France avait permis de se reconnaître en une nation. Le père, Wadi, travaillait comme typographe, et la mère, Lisa, élevait ses quatre enfants dans une atmosphère de modestie chaleureuse où l’on ne manquait de rien parce qu’on ne demandait pas grand-chose à l’existence, hormis la tendresse et la sagesse.


Le site spécialement réalisé sur Fairouz pour l'émission qui lui fut consacrée sur ARTE TV.

Née en 1935, Nouhad Haddad, qui ne s’appelle pas encore Fairuz, va à la messe le dimanche, écoute la TSF des voisins parce qu’un poste de radio est trop cher pour le maigre budget familial, et chante déjà si bien dans sa cuisine que l’on garde les fenêtres ouvertes dans la maison en face pour pouvoir l’entendre. Le maître de la chorale à l’école a confié qu’elle était extrêmement doué Mais enfin, les artistes, c’est un univers qui sent le soufre, ce qui n’incite guère à flatter la vocation de la petite cuisinière chantante. Adolescente, elle est donc pieuse, réservée, timide, contente de son sort et foncièrement attachée aux siens, avec l’air de ces jeunes filles qui se marient la première fois qu’elles sortent de chez elles avec des hommes plus âgés. Ça ne se passera pas comme cela: Nouhad chante décidément trop bien, il y a quelque chose en elle qui l’entraîne, sans qu’elle le sache encore, bien au-delà de ces bonheurs en demi-teinte. Un professeur du conservatoire la remarque et persuade ses parents de lui faire suivre ses cours. Les meilleures élèves se produisent dans une autre chorale bien plus professionnelle, celle de la radio. Et les meilleures des meilleures deviennent solistes. Les émissions sont hebdomadaires, en direct, et très écoutées. Les parents font enfin le sacrifice d’acheter un poste à galène: ils en auront sacrément besoin pour suivre Nouhad, désormais toute à son ascension fulgurante. Au début des années 1950, Beyrouth est à l’égal du Caire, l’autre phare du Proche-Orient; la version modernisatrice, républicaine, pro-occidentale d’un monde arabe où le progressisme pronassérien épuisera un prodigieux capital d’espoirs, de ressources culturelles en aventures nationalistes sans issue. A Beyrouth, on lit la presse du monde entier, on parle le français dans presque tous les milieux. On se passionne pour le surréalisme et l’existentialisme, et, si l’Etat est faible, partagé en clans rivaux qui s’équilibrent, on en profite pour mener des affaires florissantes en gérant les trésors en pétrodollars des monarchies du Golfe, et en amusant leurs émirs avec des vacances peu rigoristes dans des casinos peuplés de fausses blondes qui ressemblent à Martine Carol. Beyrouth, c’est à la fois Genève revue par Dario Moreno, Nice qui aimerait les intellectuels, Alexandrie perdue et retrouvée pour la jet-set internationale qui annexe le Festival de Baalbek après Salzbourg. La ville se hérisse de buildings sans parkings, se presse dans les clubs nautiques en été, sur les pistes de ski du mont Liban en hiver; une insouciance porteuse d’avenir quand on aime la paix, lourde de jalousies environnantes quand les tensions guerrières s’accumulent aux alentours. Radio-Beyrouth rayonne naturellement sur tout le monde arabe, mais il manque un son pour fédérer l’orchestre libanais, une voix pour faire sentir l’accord profond de cette société composite en pleine effervescence.
C’est alors que le jeune rossignol rencontre les frères Rahbani. Assi Rahbani est flic de profession et directeur artistique à Radio-Beyrouth le reste de son temps, c’est-à-dire vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Acharné à faire évoluer cette musique libanaise qui s’endort dans les variétés et le folklore, avec l’aide de son frère Mansour, poète élégiaque maîtrisant la langue arabe la plus pure. Le talent, la douceur, l’ambition artistique de Nouhad les subjuguent, ils la rebaptisent Fairuz, c’est-à-dire «Turquoise», en hommage à son éclat mystérieux. Assi l’épouse, Mansour est garçon d’honneur, le trio est indissolublement soudé, à la vie à la mort, et la folle aventure peut commencer. Difficile de déterminer l’apport de chacun. Assi est le patron, mélodiste incroyablement inspiré imposant une discipline de fer; Mansour, chantre aux formules aussi inoubliables dans l’émotion que dans la légèreté; Fairuz, la muse et l’interprète dont la timidité les exaspère, la volonté les fascine, l’intelligence hypersensible les méduse.
Ensemble, ils ont tout réinventé: des comptines pour enfants aux revues musicales, des refrains de jeunes filles aux hymnes patriotiques, des chansons d’amour aux arias avec chorale et orchestre symphonique, sans oublier les chants religieux à l’œcuménisme militant; intégrant toutes les influences qu’ils avaient aimées et que la radio avait strictement cloisonnées jusqu’alors. Cette renaissance de la musique proprement libanaise hantera le monde arabe comme un bienveillant fantôme de gaieté, de romantisme et de liberté. La géniale Oum Kalsoum en prendra légitimement ombrage, avant qu’Abdel Wahab, l’empereur de la chanson égyptienne, ne tente de l’annexer en persuadant les frères Rahbani de lui laisser faire le voyage du Caire. Brève évasion dont il reste des enregistrements extraordinaires de qualité et qui soulignent a contrario la qualité de la fidélité de Fairuz aux merveilleuses mélodies des deux frères. Enfin, ce n’est pas tout de la faire chanter sur les ondes de Radio-Beyrouth, il faut aussi la persuader de monter sur scène, de passer à la télévision, de faire des films. Paralysée par le trac, ravalant sa pudeur et ses larmes, Fairuz affronte désormais un public qu’elle avait sans doute secrètement espéré ne jamais voir. Les apparitions de Fairuz sont très étranges, à rebours de tout ce qu’on enseigne à des vedettes de la scène et de l’écran: hiératique, le visage clos, intensément concentrée sur son chant, elle impose une présence à la solitude bouleversante qui emmène le public dans une communion mystique à laquelle personne ne résiste. Youssef Chahine et Henry Barakat auront l’habileté et le tact de ne pas forcer cette retenue: les films qu’ils tourneront avec Fairuz sont des chefs-d’œuvre inclassables, par leur délicatesse et leur tendresse, dont les conventions et les artifices habituels dans le genre des comédies chantantes arabes ne font que souligner l’incroyable pureté d’âme de l’héroïne.

Et là encore, les cœurs les plus endurcis ne peuvent que rendre les armes. «Je t’aime mon Liban, ma patrie Tu te demandes ce que j’ai Tu te demandes ce qui m’arrive…» Les textes de Mansour sont souvent prémonitoires, ils annoncent l’apocalypse de près de vingt années de guerre. Lorsque l’étau des conflits du Proche-Orient se referme sur le Liban et transforme Beyrouth en un amas de ruines que se disputent les massacreurs de tous bords, Fairuz se cloître et entre dans le silence, qu’elle ne rompt que pour des chants de Noël ou de rares tournées à l’étranger pour des salles d’émigrés qui l’écoutent avec une ferveur de naufragés. Elle aurait pu quitter le Liban comme tant d’autres, mais cela aurait été renoncer à son âme, et, si certains lui reprochent son refus obstiné de prendre parti, cet exil intérieur apparaît bientôt comme une preuve de courage, une pratique de deuil et une volonté d’espoir. Lorsque Assi meurt d’épuisement et de chagrin, en 1979, elle conduit ses funérailles dans la ville dévastée, avec un masque de tragédie antique où chacun reconnaît la douleur que tous les Libanais ont désormais en partage. Et si l’on ne sait plus au juste quand la guerre a commencé, il est certain qu’elle s’achève ce soir de 1994 où Fairuz accepte enfin de se produire en concert sur la place des Martyrs et chante: «Nous reviendrons un jour dans notre quartier nous plonger dans la tiédeur de l’espérance, nous reviendrons tôt ou tard et les distances qui nous séparent s’effaceront…» Moment d’émotion extraordinaire pour ces millions de Libanais qui l’écoutent, dans le public et sur les ondes, tel qu’aucun politique ne leur aura jamais fait ressentir. Aujourd’hui Beyrouth revit dans l’amnésie de la guerre et l’euphorie des grandes affaires de la reconstruction, à l’ombre d’un protectorat syrien omniprésent et invisible dont les Libanais se moquent faute de pouvoir s’en débarrasser.
Mais Fairuz n’a pas oublié; alors qu’elle a toujours réservé une capacité d’humour délicieuse à ceux qu’elle admet parmi ses intimes, ne vous attendez pas à entendre autre chose qu’un chant de mélancolie qui embrasse l’histoire crucifiée du Liban et le destin floué d’une femme arabe.

Frédéric Mitterrand


Nouveau CD: «Wala Kif», Virgin. En vente le 23 juin 2002.

En concert: les 27 et 28 juin, Salle Pleyel (01-45-61-53-00).


(*) Cinéaste et producteur de télévision, Frédéric Mitterrand est notamment l’auteur, au cinéma, de «Lettres d’amour en Somalie», «Madame Butterfly»; à la télévision, des «Aigles foudroyés», de «Légendes du siècle» et, en 1998, de «Fairuz».


Article du Nouvel OBS', rubrique Arts et Spectacles du 20 Juin 2003.

 


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