Se déhancher à lorientale,
une mode qui fait des ravages
Peu importe la tenue vestimentaire... Le foulard
noué autour de la taille
est un accessoire à la fois décoratif et nécessaire
au bon apprentissage
de la technique du déhanchement.
Les tabous tombent, malgré quelques
freins
La danse orientale, plus quune mode, un véritable
phénomène de société des loisirs
Phénomène de société
ou simple mode éphémère ?
La danse orientale a aujourdhui ses
adeptes. Autrefois interdite aux jeunes filles de bonne famille,
elle se répand en force dans lensemble du pays,
toutes classes sociales confondues. Pas une soirée «
in » sans les déhanchements timides ou audacieux
de ces nouvelles séductrices, au son de la musique lancinante
des tubes arabes les plus en vogue. Résultat, les cours
de danse du ventre prolifèrent. Pour les femmes, jeunes
et moins jeunes, rondes ou minces, étudiantes ou maîtresses
de maison, libanaises ou étrangères, tous les
prétextes sont bons pour sessayer à cette
danse, encore si controversée, dans les écoles
spécialisées ou les clubs de sport. Le but : se
maintenir en forme, perdre quelques kilos de trop, faire du
sport en samusant, se détendre après le
travail et surtout danser... danser à en perdre haleine.
Le reportage dAnne-Marie EL-HAGE dans
l ORIENT Le JOUR
La dernière mode au Liban?
Se déhancher au rythme des succès
de Nawal Zoghbi, Ragheb Alamé ou dautres célébrités
du monde de la chanson arabe. Jeunes et moins jeunes, Libanaises
ou étrangères, étudiantes ou femmes du
monde, toutes confessions confondues, elles sont toutes mues
par un seul et même désir, celui dapprendre
la danse orientale. Lespace dune à deux heures
par semaine, elles suivent des cours avec assiduité,
histoire de dévoiler leur savoir-faire le samedi soir,
dans les soirées «in», ou tout simplement
de mêler lutile à lagréable
en samusant et se détendant tout en faisant du
sport. Le phénomène de mode est tel, que des cours
de danse du ventre se créent un peu partout et se multiplient,
tant dans les écoles de danse que dans les clubs de sport,
drainant leur lot dadeptes qui rêvent secrètement
de ressembler à Nadia Gamal.
Il est révolu le temps où la danse du ventre était
interdite aux filles de bonne famille, parce quelle était
synonyme de sensualité, voire de vulgarité. Bien
au contraire, esquisser une danse orientale au son des tubes
arabes les plus en vogue est aujourdhui un must dans les
soirées libanaises, même dans les milieux les plus
huppés. Il ny a quà observer lassistance
qui se déchaîne littéralement dans une soirée,
dès les premières notes dune mélodie
orientale. Il ny a quà visiter les nombreux
cours de danse, pris dassaut par les femmes, à
travers le pays.
Un, deux, trois, quatre... hanche à droite, hanche à
gauche! Bougez le bassin, plus fort! Bougez les épaules,
en avant, en arrière! Serrez les fesses, rentrez le ventre
et... trémolo!
Une quinzaine de femmes débutantes, en survêtements
et chaussettes, ou tenues de danse, un foulard garni de piécettes
parfois noué autour des hanches, tentent de suivre la
consigne donnée par leur professeur, au son dune
musique orientale entraînante. Pas toujours évident
de suivre le rythme, dévoluer avec grâce
tout en se déhanchant, sans plonger dans la vulgarité,
dexécuter les gestes des bras, et surtout de sourire...
alors que lon tente, parfois désespérément,
de se rappeler les pas de danse. Le tout devant un miroir qui
ne se prive pas daccentuer les défauts physiques
et les kilos de trop que lon tente de perdre. Mais quimporte
!
Une dizaine de leçons pour
les rudiments techniques
Rondes ou minces, gracieuses ou maladroites,
appliquées ou distraites, elles sélancent
à cur joie, oubliant tout complexe. Malgré
la difficulté, souvent sous-estimée, lambiance
est à la détente. Sans se lasser, elles exécutent
les mêmes pas, des dizaines de fois, jusquà
arriver à leurs fins. Et ce, malgré la fatigue
qui transparaît sur leurs traits. Au terme dun pas
de danse savamment réussi, à la fin dune
danse bien exécutée, elles sapplaudissent,
se congratulent, sencouragent. Les commentaires fusent,
les rires aussi. On se compare à telle danseuse connue,
on nen revient pas de faire des progrès. Dailleurs,
au terme dune dizaine de leçons, les apprenties
danseuses ont, pour la plupart, acquis les quelques rudiments
techniques de base qui les encourageront à aller plus
loin dans leur nouvelle passion ou à esquisser quelques
déhanchements rythmés lors dune soirée
dansante.
«Je sens non seulement que je fais des progrès,
mais aussi que mon corps se transforme et que ma taille saffine»,
raconte Nayla, la quarantaine, qui souffre de problèmes
dembonpoint, ajoutant quaucun autre sport na
jamais réussi à lui faire perdre ses kilos de
trop. «Je ne me fais pas prier pour aller au cours de
danse, alors que jai horreur du sport», remarque
à son tour une jeune fille ronde. «Jéprouve
dailleurs beaucoup de plaisir à danser, sans compter
que mon corps se raffermit et que jescompte bien perdre
un peu de poids, dici à quelques mois. Jai
dailleurs entraîné deux de mes amies avec
moi », ajoute-t-elle.
Nombreuses sont les étrangères à sessayer
à la danse orientale quelles trouvent, au même
titre que la musique, «majestueuse», «gracieuse»
ou encore «fascinante, comme tout ce qui touche à
lOrient»
Au départ plus hésitantes
que les femmes libanaises dans leurs mouvements, elles finissent
par se relâcher en dansant, littéralement envoûtées
par cette musique quelles apprécient tant. «Je
vis au Liban depuis quelque temps, cest lendroit
idéal pour apprendre la danse orientale, dit lune
dentre elles, de nationalité française.
Caurait été dommage de ne pas le faire.
» «Je suis au Liban par choix, car je ressens un
intérêt personnel pour lOrient», observe
une jeune Suissesse. «Jen apprends dailleurs
la langue, la musique et la danse », ajoute-t-elle.
Passion, détente, moyen dexpression
Une, deux, trois, quatre
hanche à
droite, hanche à gauche! Dans ce cours réservé
aux personnes avancées, la tenue vestimentaire est déjà
plus recherchée. Les corps sont souvent bien sculptés
par des années dexercice. Maillots de danse ou
survêtements moulants, ceintures de danse cousues main,
ornées de mille piécettes scintillantes ou rebrodées
de perles: le look est très important pour bien danser
et surtout pour bien bouger les hanches. Ici, depuis belle lurette,
les complexes ont été écartés. On
danse pour le plaisir de danser. On danse bien et on le sait.
Les miroirs sont là pour le prouver. Ports de bras, ports
de tête, déhanchements, trémolos
les
gestes sont gracieux et montrent une maîtrise évidente.
Les sourires sont larges et naturels. Le plaisir est évident.
Dailleurs, dans ce cours, pas de place pour les commentaires.
On se déhanche jusquà en perdre lhaleine,
histoire de profiter du moindre instant de bonheur.
«Je fréquente ce cours de danse depuis une dizaine
dannées», raconte Katia, une jeune femme
daffaires, mince et discrète. «A mes débuts,
jétais aussi raide quune planche de bois»,
dit-elle, comme pour donner du courage aux nouvelles venues.
«Mais à présent, je sens que je danse avec
le cur, poursuit-elle. Dailleurs, même si
je ne cherche jamais à me mettre en valeur durant une
soirée, tout le monde me félicite et mencourage
lorsque je danse. » «Je fais de la danse orientale
depuis juste deux ans», raconte pour sa part une jeune
fille, secrétaire de profession. «Cest pour
moi une merveilleuse détente après le travail,
dautant plus que japprécie énormément
la musique arabe. Cest un moyen dexpression du corps
bien plus agréable que laérobic ou tout
autre sport», conclut-elle.
Mais quen est-il des tabous, des interdits, du quen
dira-t-on? Certes, les tabous ne sont pas véritablement
tombés. La danse orientale, lascive et sensuelle, garde
encore cette consonance séductrice, voire même
vulgaire, autrefois interdite aux filles de bonne famille. Mais
aujourdhui, de nombreuses femmes revendiquent tout haut
le droit de séduire, alors que dautres le font
avec réserve et discrétion. Comme cette femme
dâge mûr qui continue de cacher sa passion
à son mari, lui racontant, non sans malice, quelle
se rend à son cours de sport. Après tout, la danse,
quelle soit orientale ou non, na-t-elle pas pour
vocation de séduire?
Des cours à la pelle pour répondre à
la demande des femmes
Le succès fulgurant de la mode de la
danse du ventre nest plus à décrire, et
sest accentué durant les cinq dernières
années, répondant à la demande féminine
qui ne cesse daugmenter. Pour le plus grand bonheur des
professeurs de danse, qui se déplacent souvent dun
club à un autre pour donner leurs cours, lorsquils
ne se limitent pas à une seule école de danse.
Quant aux méthodes denseignement, elles diffèrent
souvent, même si la technique est unique. Les tarifs,
eux, varient entre 35 et 55 dollars par mois, selon le cours,
le lieu et le professeur.
Ici, après un échauffement assez proche de laérobic,
on privilégie lapprentissage en douceur, on axe
sur la technique, on décortique chaque pas. Là,
on préfère commencer par une mise en train rapide
puis enchaîner sur les danses à succès,
pour répondre au souhait des femmes, souvent pressées
dexercer leurs talents. Ailleurs, on centre le cours sur
les musiques très rythmées, au son de la «
derbaké », ou de la « tablé »,
alliant échauffement technique, enchaînement de
pas et danses. Partout, les professeurs qualifiés arrivent
à leur manière au but recherché : apprendre
aux élèves la danse orientale.
« Je tente de mettre la technique à la portée
de toutes les femmes, même les débutantes »,
explique Jeanine Badr, qui enseigne la danse du ventre à
une centaine de femmes de tous âges, dont quelques femmes
enceintes, dans différents clubs du pays. Simplifiant
les mouvements difficiles, variant ses chorégraphies,
utilisant des chansons à succès, elle entraîne
ses élèves à faire travailler leur corps,
à exercer leur mémoire et à retenir lenchaînement
des mouvements. « Leffort personnel est indispensable
pour acquérir grâce, distinction et souplesse, surtout lorsqu’on
n’a jamais dansé auparavant », précise-t-elle, ajoutant que
certaines femmes font parfois des progrès remarquables. Pour
Pierre Haddad, professeur de danse orientale depuis 21 ans,
dont les élèves viennent de tous les coins du pays, ce phénomène
de société découle de la sensibilisation des femmes à la nécessité
de faire du sport et à être bien dans leur corps. « Même les
femmes fortes peuvent être bien dans leur corps et danser gracieusement
», dit-il, ajoutant que celles-ci dansent souvent mieux que
les femmes minces qui, elles, doivent faire beaucoup d’efforts
pour onduler ou se déhancher. « Quant aux progrès réalisés,
ils varient selon le don de chacune, explique-t-il, car la danse
doit venir du plus profond de soi. »
Selon lui, l’apprentissage se fait au fur et à mesure. Mais
au moins trois mois sont nécessaires pour retenir les enchaînements
et les pas et pour se sentir à l’aise en dansant. « Signe de
féminité, de délicatesse, de sensualité et de finesse, la danse
orientale a mis beaucoup de temps à être adoptée par la société
libanaise, qui refusait de reconnaître ses propres valeurs orientales
», regrette Rafic Gharzouzi, qui dirige une académie de danse.
« Cette société en avait d’ailleurs une vision erronée et l’assimilait
à la danse de cabaret », précise-t-il.
On assiste aujourd’hui à une prise de conscience de la beauté
de la danse orientale, non seulement au Liban, mais dans le
monde entier, estime ce professeur. Et d’ajouter que le meilleur
moyen de l’enseigner aujourd’hui est d’en simplifier la technique
et les chorégraphies, même si celles-ci ne sont pas toujours
authentiques. Certes, au terme de quelques cours de danse orientale,
il n’est pas évident de se déhancher sans complexe dans une
soirée mondaine, sous les regards des proches, qu’ils soient
critiques, ironiques ou au contraire admiratifs. Car après tout,
et malgré l’évolution des mœurs et la banalisation du phénomène,
la danse orientale n’en reste pas moins une curiosité. .