Urbanisme et reconstruction:
HelpLebanon,
pour améliorer le cadre de vie des quartiers libanais
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Après
Karm el-Zeitoun,
Saïfi, Saint-Maron, Hamra, Bourj el-Brajneh...
HelpLebanon : le beau,
le civisme en partage
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Repeindre les immeubles. Pour
mettre de l’arc-en-ciel dans le noir du quotidien des riverains
des quartiers défavorisés. Pour leur donner, certes, le beau en
partage, mais aussi, surtout, les faire aimer leur quartier, qu’ils
l’entretiennent, qu’ils ne le quittent plus, qu’ils soient citoyens
de première catégorie. C’est la mission, depuis 1996, de HelpLebanon
et de sa présidente, Liliane Tyan. Sans compter les demandes qui
affluent, de partout, et les sponsors, indispensables, qui se
multiplient.
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Changer le quotidien des Libanais, les faire
aimer leur quartier...
Un
livre sur l’action de Help Lebanon dans un quartier d’Achrafieh
L’embellissement de Karm el-Zeitoun en photos
Janvier 2005-
Des maisons aux couleurs vives là où il n’y avait que grisaille,
une impression de gaieté là où la forêt de béton n’avait laissé
que désolation, un régal pour les yeux là où la laideur avait
gagné du terrain, tel est le résultat du travail d’embellissement
du quartier de Karm el-Zeitoun (Achrafieh) par l’association Help
Lebanon. Cette action urbanistique a été consacrée par la publication
d’un ouvrage intitulé La colline des hirondelles, dans lequel
les photos de Joumana Jamhouri montrent le quartier sous toutes
ses facettes, architecturales et humaines, mettant parfois face
à face des prises d’un même paysage, avant et après l’action d’embellissement.
Liliane Tyan, présidente de cette association, rappelle
que cela fait huit ans que Help Lebanon se consacre à ce travail
d’urbanisme, avec trois mille immeubles à son actif dans 34 quartiers
de Beyrouth. Outre Karm el-Zeitoun, le secteur de Hamra a également
bénéficié de son action cette année. L’association compte continuer
sur sa lancée en 2005, en poursuivant le travail sur tout le côté
restant de Karm el-Zeitoun, jusqu’à la Quarantaine.
«Nous espérons aussi être en mesure de lancer une action similaire
dans les villages cette année», souligne Mme Tyan. En effet, elle
explique que, suite à son action dans la capitale, l’association
a été contactée par un grand nombre de villages et de villes,
comme le Hermel, Jezzine, Saïda, Tyr, Baalbeck... Selon elle,
lutter contre la grisaille a eu un effet boule de neige, parce
que les gens en ont assez de cette situation. Elle ajoute que
l’actuel ministre de l’Intérieur, Sleimane Frangié, a manifesté
la volonté de mettre l’association en contact avec les différentes
municipalités afin que cette action d’embellissement se généralise
dans les régions. Quel effet a eu la peinture fraîche des façades
sur la vie d’un quartier comme Karm el-Zeitoun? «Avec l’embellissement
des façades, il s’ensuit obligatoirement un effort dans les intérieurs,
estime Mme Tyan. Le travail sur le quartier a entraîné un nettoyage
des rues par la municipalité et, aujourd’hui, on voit plus souvent
les enfants jouer au vélo et aux rollers. De plus, une action
telle que la nôtre encourage d’autres ONG à s’impliquer pour s’occuper
de divers aspects de la vie quotidienne des habitants.» Elle ajoute
que cette initiative a également amélioré le quotidien des automobilistes,
nombreux à passer près du quartier. À signaler que l’association
exécute ses projets grâce à la collaboration de plusieurs sponsors.
Pour Karm el-Zeitoun, il s’agissait de la Banque Audi et de la
SNA. Le sponsor pour la rue Hamra était l’ABC. Dans certains quartiers,
les habitants sont prêts à collaborer, mais leur participation
n’est pas obligatoire partout. Les travaux sont exécutés par une
équipe de volontaires, notamment les architectes Barbar Kallab
et Jean Nehmé, l’entrepreneur Imad Abou Nasr et une artiste peintre,
Gina Succar, qui a réalisé entre autres plusieurs trompe-l’œil
sur les murs. Il est possible de contacter l’association à l’adresse
suivante:
tyanliliane@yahoo.com
email/courriel:
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Enquête de Ziad Makhloul
Le ministère
du Tourisme et le Hezbollah
Nada Sardouk, la très dynamique directrice générale du
ministère du Tourisme, a demandé elle aussi à HelpLebanon
de contribuer à la restauration de... la rue Hamra, de
la faculté de droit de l’UL jusqu’à l’hôtel Crown Plaza.
Toute la jeunesse des Beyrouthins, ex-quartier touristique
par excellence, ex-(tout petit) équivalent des Champs-Élysées
parisiens, la rue Hamra, si elle bénéficiait de ce lifting
inespéré, pourrait, mieux que le nez d’une pharaonne,
changer l’image de la capitale. Et que le ministère du
Tourisme pense à financer ce genre de projets ne peut
être que de très bon augure. Le Hezbollah est également
entré en scène. Le président de la municipalité de Bourj
el-Brajneh a pris contact avec Liliane Tyan. Son but :
choisir un quartier pilote et le restaurer pour, ensuite,
entièrement nettoyer la banlieue-sud. Tout cela, sachant
que plusieurs villes ont fait appel à HelpLebanon, par
le biais d’un de leurs notables : Saïda, Zghorta, Tripoli,
ainsi que les régions de Sin el-Fil et de Nabaa. Nabaa
où, s’inspirant de Karm el-Zeitoun, les autorités municipales
ont commencé les trompe-l’œil sur les immeubles, en demandant
à l’association conseils et autres soutiens. «Nous sommes
très heureux. Nous voulons qu’il y ait des HelpLebanon
partout, parce qu’il est naturellement impossible que
l’on s’occupe de l’ensemble des régions libanaises. Moi
je suis prête à aller aux quatre coins du Liban pour faire,
grâce à l’association, une première étude gratuite, dès
qu’on me le demande», répète Liliane Tyan. Ce qui attire
l’attention, fascine même, ce n’est pas seulement le nombre
très élevé des sponsors intéressés par l’aventure HelpLebanon
(avec, outre ceux déjà cités, la BNPI, la Banque Saradar,
la Banque Méditerranée, Diageo avec Gilbert Ghostine,
les dons privés...). Ce n’est pas seulement l’implication
d’hommes politiques français souhaitant, par n’importe
quel moyen, aider le Liban. C’est aussi, et surtout, que
pour la première fois, le mohafazat et la municipalité
de Beyrouth, emmenés respectivement par le lahoudien Yaacoub
Sarraf et le haririen Abdel-Meneem Ariss, se sont entendus
pour travailler, ensemble, et aider l’action de HelpLebanon.
C’est enfin que cela devrait, d’urgence, inspirer tous
les collègues de Sarraf et de Ariss, partout au Liban,
pour qu’ils contribuent, eux aussi, à généraliser le beau,
à faire en sorte que leurs administrés, noyés sous les
comment-nourrir-et-scolariser-et-habiller-mes-enfants
puissent au moins avoir, plein les yeux, vingt-quatre
heures sur vingt-quatre, de la couleur plutôt que du gris
et du noir. Demander à Liliane Tyan si tout cet argent
ne pourrait pas justement aider les habitants des quartiers
restaurés par HelpLebanon à se nourrir, se vêtir, aller
à l’école. Sa réponse fuse, comme un cri. « Cet argent
est, à la base, destiné à la restauration des quartiers,
il n’est pas détourné dans ce but. Embellir le quotidien
des gens est aussi important que tout le reste – et ils
sont aidés pour le reste. Le moral de ces riverains est
aussi primordial que leur nourriture, leurs vêtements.
Repeindre leurs immeubles, embellir leurs appartements,
cela les encourage à rester dans leurs quartiers, à s’en
occuper, à en être fiers. J’ai fait du social, du médical,
pendant toutes les années de guerre ; aujourd’hui, les
gens veulent du beau, ils le cherchent, ils n’arrêtent
pas de répéter que leur pays dépérit sous le béton et
la saleté. » L’environnement et le beau comme outils politiques.
De quoi rassurer, pour l’avenir. À condition que les sponsors
ne désespèrent pas de l’indifférence de l’État. À condition
que ce dernier, à l’instar du ministère du Tourisme, se
décide à se réveiller. À condition que les Libanais continuent
de croire en leur pays.
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A Karm el-Zeitoun,
on l’appelle « Madame Loto »
Dépassés par la pauvreté,
la situation économique catastrophique, totalement oubliés
par l’État, les habitants de la colline de Karm el-Zeitoun
ont vécu comme un rêve les longs mois au cours desquels
HelpLebanon changeait l’image de leur quartier. À tel
point qu’ils ont oublié le nom de l’omniprésente présidente
de l’association pour ne plus l’appeler que « Madame Loto
». Liliane Tyan. Elle est à la tête de HelpLebanon depuis
1979, lorsque l’association s’occupait des enfants de
la guerre, les 7-13 ans. En seize ans, HelpLebanon première
mouture a emmené plus de 23 000 enfants défavorisés en
colonies de vacances, les a habillés, nourris, et a ouvert
cinq dispensaires dentaires dans tout le pays, du Sud
au Nord en passant par les grandes villes côtières et
la Békaa, ainsi que plusieurs laboratoires médicaux. Aujourd’hui,
HelpLebanon, qui a déjà restauré plus de 1 800 immeubles,
et qui finance, par le biais des donations, de 30 à 100%
des restaurations (le reste étant assumé par les riverains
eux-mêmes) compte cinq architectes (dont Barbar Kallab,
Jean Nehmé et Imad Bou Nasr) chargés de préparer les études
prérestauration, ainsi qu’une cinquantaine d’ouvriers.
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C’est
une histoire. Une façon autre de contribuer. De faire
en sorte qu’un pays ruiné moralement et physiquement,
abandonné par un État corrompu, indifférent et irresponsable,
change, évolue, aille vers un meilleur. Ravaler les façades
des immeubles des zones difficiles, pauvres et souffreteuses,
les colorer arc-en-ciel, construire des ponts, imposer
et apprendre le beau, encourager les riverains à aimer
leur quartier, à l’entretenir, à s’y impliquer – mieux
: à ne plus rêver, chaque nuit, de le quitter –, tout
cela n’est certes pas suffisant pour effacer les misères,
mais s’est avéré, au fil des mois, depuis près de huit
ans, absolument nécessaire. Une histoire donc, une réussite,
une vraie, grâce aux dons, aux désirs des uns et des autres
de participer à la mue du Liban, grâce aussi, surtout,
à la volonté d’acier d’une association : HelpLebanon.
Principal bénéficiaire ? Beyrouth, Tout-Beyrouth, évidemment,
mais aussi, et ça ne s’arrête plus, le Nord, le Sud, l’Est,
qui demandent à l’association à but non lucratif de venir
mettre du rouge, du rose, du bleu ou du jaune sur leurs
immeubles noircis, meurtris. Tout commence en 1996. Grâce
à Rafic Hariri. À cause de lui, plutôt, et de sa frénésie
de constructions. Il veut une voie express, sur trois
niveaux, et un pont, qui auraient châtré et totalement
défiguré le quartier de Tabaris. En une après-midi, plus
de mille deux cents signatures pétitionnaires sont réunies
par Liliane Tyan, la présidente de HelpLebanon. Mille
deux cents Beyrouthins qui paraphent de leurs noms une
lettre ouverte, dans L’Orient-Le Jour, adressée à l’omnipotent
Premier ministre. Qui donne rendez-vous à quelques-uns
d’entre eux, le lendemain, au Sérail. En soixante minutes,
Rafic Hariri est convaincu. Qu’au lieu d’altérer à tout
jamais un quartier sous prétexte d’en assainir la circulation,
il serait bien plus intelligent de mettre des feux au
carrefour. « Le projet est enterré », concluera, au bout
de l’heure, le chef de Koraytem. C’est là qu’Antoine Wakim
entre en scène. Une fois le projet de la voie express
relégué aux oubliettes, le président de la Société nationale
d’assurances (SNA) se tourne vers Liliane Tyan : « Occupe-toi
de Beyrouth. Elle est noire, hideuse, défigurée par les
trous de bombes et les ruines. HelpLebanon existe toujours
? Oui ? Très bien, redonne-lui des ailes : voici 25 000
dollars. » Le patron de la Banque Audi, Raymond Audi,
n’hésite pas une seconde, et donne à l’association vingt-cinq
mille autres dollars, avant de jurer, comme Antoine Wakim,
de ne plus jamais s’arrêter. D’aider. Et comme la loi
l’autorise à changer ses statuts, HelpLebanon, après le
social (voir encadré), commencera désormais à se consacrer
à l’environnement. Tabaris est intronisé quartier cobaye.
Les façades des immeubles de la place du même nom sont
repeintes, ainsi que celles de vingt-neuf rues : Charles
Malek (jusqu’à La Sagesse, avec la restauration du pont
attenant), du Liban, Abdel-Wahab el-Inglizi, Monnot, etc.
Jusqu’à la rue de Verdun. Et puis, au fil des ans, l’intérêt
des Libanais allant crescendo – au vu des résultats et
de l’engouement des différents riverains –, les cerveaux
des sponsors ont turbiné, leurs idées se sont multipliées.
C’est superbe Solidere, ont-ils estimé, indépendamment
des milliards de dollars qui y ont été injectés, mais
la ceinture de misère autour du centre-ville (Kantari,
Zokak el-Blatt, Saint-Maron) est inadmissible. Entraîné
par la volonté et la générosité (qu’elle soit intéressée
ou pas) des donateurs (la LandMark a mis 25 000 dollars,
et le CCC de Youssef Kanaan, 10000), le PDG de Solidere,
Nasser Chammaa, donne son accord et promet ses sous. Et
de l’hôtel Phoenicia jusqu’au port, ce sont deux cents
immeubles qui vont bénéficier du lifting de HelpLebanon
– 32 immeubles ayant été achevés en 2003, les 158 autres
attendent le reste des donations. Parallèlement à cette
ceinture noire autour des ors et du strass du centre-ville,
la SNA et la Banque Audi décident de financer la restauration
des immeubles de la colline de Karm el-Zeitoun. Que le
mohafez de Beyrouth, Yaacoub Sarraf, appellera, poète,
« la colline aux hirondelles ». Cette colline, connue
pour l’indigence de ses habitants, est parsemée, criblée,
de plus de trois cents petites maisons, comme des nids...
d’hirondelles. Entièrement restaurées, jusqu’au moindre
millimètre carré, avec – et c’est une première – 42 trompe-l’œil
dessinés par une peintre argentine mariée à un Libanais,
Gina Succar. Et depuis une dizaine de jours, la colline
aux hirondelles est totalement terminée, métamorphosée,
impressionnante. « Nous voulons continuer, au-desssus
de Karm el-Zeitoun, entrer dans Achrafieh. » Liliane Tyan
sait ce qu’elle veut, et comment l’obtenir. À Karm el-Zeitoun,
depuis que HelpLebanon est passé par là, il y a des boutiques
qui ouvrent, des fleuristes, des artistes qui s’installent
sur les escaliers néo-montmartrois du quartier. Les promeneurs
de la corniche du bord de mer viennent déambuler à Karm-el
Zeitoun, les bicyclettes, les rollers se multiplient.
Et le conte de fée continue, l’effet boule de neige ne
rate pas. Le patron de la SGBL, Maurice Sehnaoui, décide
de prendre à sa charge tout le quartier Saïfi-Saint-Maron,
et donne sans hésiter 50000 dollars. Le fils du Premier
ministre, Baha’ Hariri, fait part à Liliane Tyan de sa
volonté de prendre en charge la restauration, en 2003
et 2004, de toute la zone devant le Bain militaire. Robert
Fadel, l’un des jeunes propriétaires de l’énorme ABC en
construction à Achrafieh, a décidé «d’embellir» tout autour
de son centre commercial, Mar Mitr inclus.
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La Lorraine
et le Cher parmi les principaux donateurs
La love story entre la
Meurthe-et-Moselle en général, la Lorraine en particulier,
ainsi que le Cher, avec le Liban, a commencé il y a des
années, grâce à HelpLebanon. Tout le monde sait que la
France aime et aide le Liban ; beaucoup moins sont au
courant des liens qui unissent ce dernier à quelques régions
et départements français.
C’est d'abord une histoire d’hommes.
Gérard Longuet, ancien ministre, sénateur UMP de
Lorraine, président des présidents de région et président
du groupe France-Liban au palais du Luxembourg ;
Gérard Léonard, député UMP de Meurthe-et-Moselle,
président du groupe France-Liban au palais Bourbon ;
Serge Vinçon, sénateur UMP du Cher, continuent
de se démener pour aider le Liban.
À titre d’exemple, près de 100 000 euros ont été offerts
pour la rue Gouraud par la région Lorraine, et plus de
10 000 pour d’autres projets par le département du Cher.
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email/courriel:
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Le Grand Théâtre, comme au bon vieux temps...
C’est Georges Tabet qui avait demandé
à Aftimos de dessiner les plans du Grand Théâtre.
Ci -dessus, une vue d’ensemble.
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Le bâtiment du grand théâtre
en cours de restauration.
(Photos Michel Sayegh)
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Reconstruction : l’édifice, joyau du Beyrouth des années 30 et 40,
va renaître de ses cendres
La restauration des façades du Grand Théâtre est en
cours. La consolidation de ses structures aussi. La bâche qui recouvre
le bâtiment ne voile plus les outrages subis du fait de la guerre mais
bel et bien une opération lifting conduite par la société Solidere.
L’édifice datant de 1927, et dont toute une génération passée parle
avec fascination et nostalgie, a été la pierre angulaire du Beyrouth
culturel dans les années 1930 et 1940. Considéré comme une des salles
les plus prestigieuses de la ville, le Grand Théâtre a accueilli sur
ses planches acteurs et chanteurs venus d’horizons divers : Marie Bell,
Charles Boyer, Serge Lifar et sa compagnie, la troupe parisienne du
Mogador mais aussi Béchara Wakim, Youssef Wehbi et Mohammed Abdel Wahab,
pour n’en citer que quelques-uns. Bien plus tard, quand le monde du
spectacle s’est déplacé vers Aïn el- Mreisseh et Hamra, le Grand Théâtre
a connu le déclin et la décrépitude, pour n’être plus qu’un dépôt pour
films de série Z. En 1975, le début de la guerre apportera aussi sa
moisson de dégâts. Mais pour les Libanais, ce lieu de mémoire, baigné
dans une une atmosphère onirique, reste le témoin architectural de toute
une époque. Situé au bout de la rue Maarad, l’édifice est né, dit-on,
des plans de Youssef Aftimos, ingénieur diplômé de l’Union College de
New York, qui avait également dessiné les plans de l’hôtel de ville
(municipalité) puis l’immeuble Barakat de Sodeco, toujours en ruines.
La bâtisse construite en pierre de taille présente plus ou moins la
même facture que la municipalité et est de style « art déco orientalisant
», selon l’expression de l’architecte Georges Arbid, qui prépare une
étude sur le Grand Théâtre. L’immeuble, qui se dresse sur trois niveaux,
offre une superficie de 2 000 m2 et un plan «en fer à cheval» inspiré
de l’ancien théâtre Garnier (Charles Garnier). Il comprend un hall central
surmonté d’une coupole de verre coloré donnant accès à la salle. Aérée
par un dôme mobile s’ouvrant et se refermant mécaniquement, celle-ci
est dotée tout naturellement d’une scène et de coulisses, mais également
d’un balcon, de loges et de corbeilles, à l’instar des théâtres classiques
européens. Au rez-de-chaussée et comme en un fin clin d’œil à la rue
Maarad, une galerie d’arcades longe les deux façades de part et d’autre
d’un immense portail à double hauteur, en pierre ouvragée. Mais le fer,
le feu et les pillages ont fait de gros ravages, et les éléments architecturaux
qui ponctuent ces façades (cadres-fenêtres, corniches, reliefs et chapiteaux
offrant une débauche à motifs de feuille de vigne, d’épis de blé ou
de fruits) ont été fracassés, brisés ou brûlés. Leur restauration a
été « une opération très longue et très coûteuse », disent John Neemeh
et Tamara Napper, architectes chargés par Solidere du ravalement de
la façade et de la consolidation de la structure. Les cahiers de charge
étant très rigoureux, la réfection de la pierre et son installation
ont été entreprises selon des techniques très sophistiquées. Grâce aux
descriptions détaillées d’anciennes photos, de documents et de références
de spécialistes, « l’élément manquant a été refabriqué intégralement
et les façades reconstituées à l’identique, exactement telles qu’elles
étaient auparavant », soulignent les deux architectes.
Pour un concept économiquement viable
L’apparence extérieure du Grand Théâtre retrouvera bientôt son lustre
d’antan. Mais qu’en est-il de ses espaces intérieurs et de leur fonction
? Il faut tout d’abord dire que des « négociations sérieuses » sont
en cours entre la société Solidere et les locataires potentiels : John
Chédid et Youmna Achkar. En écho, les deux parties souhaitent « recréer
l’espace intérieur tel qu’il était », tout en introduisant les composantes
nécessaires pour sa modernisation. On croit comprendre également que
l’aménagement des lieux sera confié à l’Américain Tony Chi et ses associés
qui, rappelons-le, ont signé la décoration du restaurant Eau de Vie
de l’hôtel Phoenicia. Sophie et Yasmina Skaff (Table Rase) s’occuperont
de la programmation des évènements artistiques. Mais comme la culture
ne nourrit pas son homme, John Chédid veut développer un concept qui
sera économiquement viable, qui joindra la culture à la gastronomie
et peut-être... à l’hôtellerie. Mais sur ce sujet, Chédid et Achkar
restent discrets. Plus explicites, les responsables de Solidere parlent
d’un projet d’une autre ampleur. Il s’agira de créer un complexe culturo-touristique,
en reliant le Grand Théâtre à la bâtisse adjacente datant du début des
années 1940. Celle-ci sera reconvertie en hôtel de 75 clés et dotée
d’une annexe qui sera construite sur le terrain vague situé au coin
du bâtiment. L’ensemble, qui comprendra théâtre, restaurants, boutiques
et hôtel, devrait totaliser quelque 11 000 m2 de construction et 5 600
m2 de sous-sol exploitables. Rien n’a, pour l’instant, été décidé. L’affaire
reste à suivre.
May MAKAREM
Vient de paraître
- « Lebanon Rebuilt », d’Ayman Trawi
La reconstruction du Liban, preuve, photos et chiffres
à l’appui
Janvier 2005- Après avoir réalisé un grand succès avec son exposition
et son livre sur Beyrouth avant et après la reconstruction, Ayman
Trawi récidive avec Lebanon Rebuilt. On pourrait penser qu’il
s’agit là d’un ouvrage de photos uniquement. Les illustrations
– fort belles – couvrent certes la majeure partie de ces pages.
Mais ce sont les chiffres présentés qui donnent une valeur ajoutée
à cette publication disponible également en format de luxe.
La place de l’Étoile : symbole par excellence
de la reconstruction du centre-ville.
Au début de l’album, quelques pages, en noir et blanc de circonstance,
pour décrire les affres de la guerre, de 1975 à 1991. Drapeaux
libanais et vue panoramique de Beyrouth pour annoncer la suite,
la renaissance du Liban. Un petit synopsis du plan de développement
adopté pour la reconstruction en prélude aux pages qui suivent,
celles consacrées à la récapitulation des accomplissements dans
des domains aussi divers que l’armée, les affaires sociales, les
déplacés, les établissements sportifs et éducatifs, la santé publique,
les ressources électriques et hydrauliques, l’environnement, l’agriculture,
les communications, l’AIB et le port, le secteur touristique et
l’héritage culturel et historique, etc. Chiffres, tableaux et
photos à l’appui, l’ouvrage présente l’état avant 1992, le plan
suivi et les résultats accomplis.
Un ouvrage-référence qui trouverait sa place dans toute librairie.
Certains y verront un beau témoignage des réalisations du gouvernement
de Rafic Hariri (l’ancien Premier ministre signe d’ailleurs la
préface de ce livre). D’autres penseront que ces magnifiques monuments
et paysages, cette grande infrastructure, ces réseaux téléphoniques
et électriques, le centre-ville et tous les grands projets ont
été réalisés aux dépens de l’économie libanaise qui en pâtit durement
aujourd’hui. Loin de toutes les polémiques, pour ou contre Hariri,
ces pages valent le détour. À défaut de la valeur documentaire
des faits présentés, au moins pour la valeur esthétique des images.
Maya Ghandour-Hert pour l'Orient-Le Jour
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