Wajdi
Mouawad : le théâtre comme antidote à l'exil
Littoral de Wajdi Mouawad au festival d'Avignon 2009
La
folle exubérance de Wajdi Mouawad embarque le public de la cour
d'Honneur dans un voyage puzzle. Un périple extravagant auquel
un joli chat tigré qui, mercredi soir, a traversé l'immense
plateau,a brièvement contribué. On part pour onze heures
de théâtre et d'émotions, porté pas la sensation
exaltante de participer à l'un de ces marathons qui ont tissé
l'histoire du festival.
Ce
voyage sur une scène nue nous emmène, avec autant de sensibilité
et d'humour, dans des pays chavirés par la guerre ou au coeur
de familles en crise. Elles sont fissurées par le deuil, rongées
par les secrets enfouis, tout en questionnement. Ainsi croise-t-on d'abord
dans Littoral, Wilfrid (Emmanuel Schwartz). Un appel téléphonique
est venu troubler les jeux sexuels de ce grand échalas en même
temps qu'il lui apprenait la mort de son père. C'est comme ça,
dans les pièces de Wajdi Mouawad, l'essentiel se fige souvent
autour de l'anecdotique. Les accents se mélangent, l'imaginaire
s'invite dans le réel, tel le chevalier Guiromelan (Jean Alibert),
créé par Wilfrid enfant pour mieux lutter contre la puissance
des monstres et qui, depuis, ne l'a pas quitté.
On
rit autant que l'on pleure. Avec ces jumeaux réunis pour entendre
le testament de Nawal, leur mère (jouée par trois femmes
d'âges différents) dans Incendies. Sur le plateau, peu
d'artifices. Avec quelques pots de peinture, on dessine la mer, on raconte
un accouchement, on offre une sépulture à un père.
Sion somnole avec Forêts, cette perte de contrôle joue avec
les tableaux agités de Wajdi Mouawad, les sublime. Un voyage
initiatique, drôle et douloureux. Olga
Bibiloni pour La Provence
Les 10; 11 et 12 juillet à 20h dans
la cour d'Honneur à Avignon. 04 90 14 14 14.
Wajdi
Mouawad honoré par l'Académie française
26 Juin 2009- À quelques jours de l'ouverture du Festival
d'Avignon, dont il est l'artiste-associé et une des grandes
vedettes, Wajdi Mouawad voit son oeuvre saluée par l'Académie
française.
Réunis
cette semaine, les membres de la célèbre institution
du Quai Conti lui ont décerné leur Grand Prix
du Théâtre pour l'ensemble de son oeuvre dramatique.
La récompense sera remise à l'auteur, metteur
en scène et comédien en décembre sous la
Coupole de l'Institut de France.
C'est
lors de sa séance de jeudi que l'Académie a procédé
à l'attribution de ses différentes distinctions
littéraires de l'année 2009. La liste est longue,
et comprend pas moins de 70 prix (de littérature, de
la nouvelle, de l'essai, de la biographie).
Les
plus prestigieux sont les Grands Prix, à commencer par
celui du roman dont le lauréat - comme d'habitude - ne
sera désigné qu'à l'automne.
Le
Grand Prix du Théâtre a été créé
en 1980. Il est attribué chaque année à
un auteur dramatique pour l'ensemble de son oeuvre. Dans le
passé, la récompense a notamment été
décernée à Jean Anouilh, Marguerite Duras,
Rolland Dubillard et Valère Novarina.
Pour
Wajdi Mouawad, ce grand prix ressemble à un avant-goût
de la consécration qui l'attend vraisemblablement à
Avignon, dont la prochaine édition s'ouvre le 8 juillet.
Considéré
comme un des plus importants auteurs de la Francophonie, Wajdi
Mouawad est l'artiste associé du festival. À ce
titre, il en a largement «inspiré» la programmation.
Pour
l'occasion, Mouawad présentera dans la prestigieuse Cour
d'honneur du Palais des Papes la version intégrale de
ses trois pièces Littoral, Incendies et Forêts,
regroupées pour la première fois au sein d'un
même spectacle qui se prolongera jusqu'à l'aube.
Présentée
dans la seconde partie du festival, une nouvelle pièce,
Ciels, viendra compléter cette trilogie, pour former
un quatuor intitulé Le Sang des promesses.
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Le
Théâtre National de la Colline accueille du 8 octobre
au 2 novembre 2008 le spectacle INCENDIES de Wajdi Mouawad
dans la mise en scène de Stanislas Nordey.
©DR
Wajdi Mouawad est né au Liban en 1968, pays quil
quitte à lâge de huit ans avec sa famille pour
un premier exil à Paris. Huit ans plus tard toute la famille
émigre au Québec où il obtient son diplôme
de lÉcole Nationale de théâtre du Canada
en 1991. Depuis septembre 2007, il est directeur artistique du
Théâtre Français du Centre National des Arts
à Ottawa et parallèlement sassocie avec sa
compagnie française à lEspace Malraux à
Chambéry.
Le
théâtre de Wajdi Mouawad est un théâtre
de lintime aux formes épiques, il brasse lhistoire
avec un grand H et les histoires de vie dêtres humains
lancés malgré eux dans le tourbillon des haines,
des guerres.
INCENDIES
Grand Théâtre
du
8 octobre au 2 novembre 2008
texte
Wajdi Mouawad mise en scène Stanislas Nordey
Avec
Claire Ingrid Cottanceau, Raoul Fernandez, Damien Gabriac, Charline
Grand, Frédéric Leidgens, Julie Moreau, Véronique
Nordey, Lamya Regragui,
Laurent Sauvage, Serge Tranvouez
Lorsque
le notaire Lebel fait aux jumeaux Jeanne et Simon Marwan la
lecture du testament de leur mère Nawal, il réveille
en eux l'incertaine histoire de leur naissance : qui donc fut
leur père, et par quelle odyssée ont-ils vu le
jour loin du pays d'origine de leur mère ? En remettant
à chacun une enveloppe, destinées l'une à
ce père qu'ils croyaient mort et l'autre à leur
frère dont ils ignoraient l'existence, il fait bouger
les continents de leur douleur : dans le livre des heures de
cette famille, des drames insoupçonnés les attendent,
qui portent les couleurs de l'irréparable. Mais le prix
à payer pour que s'apaise l'âme tourmentée
de Nawal risque de dévorer les destins de Jeanne et de
Simon.
du
mercredi au samedi 20h30, mardi 19h30, dimanche 15h30
Tarif
préférentiel pour les internautes de LibanVision:
19€ au lieu de 27€,
13€ pour les moins de 30 ans
Réservation
01 44 62 52 27 du lundi au vendredi de 9h30 à 17h30
CALENDRIER DES RENCONTRES AUTOUR DU
SPECTACLE
« INCENDIES »
RENCONTRE/DEBAT
Grand Théâtre
mardi 14 octobre 2008 à lissue de la représentation
Rencontre/débat entre Gérard
Mortier, directeur de lOpéra national de Paris
et Stanislas Nordey, metteur en scène.
entrée libre
réservation au 01 44 62 52 00
ou contactez-nous@colline.fr
CONFERENCE
Ecole Nationale Supérieur
des Beaux Arts mercredi 15 octobre à 15h
Conférence de Stanislas Nordey,
metteur en scène et Emmanuel Clolus, scénographe
ENSBA, 14 rue Bonaparte, 75006 Paris.
Métro Saint Germain des Près
entrée libre
réservation au 01 44 62 52 00
ou contactez-nous@colline.fr
RENCONTRE
Grand Théâtre
dimanche 19 octobre à lissue de la représentation
Rencontre avec Stanislas Nordey et léquipe
artistique du spectacle
Animée par Cécile Roy,
CRDP
entrée libre
RENCONTRE
Institut du Monde Arabe jeudi
30 octobre à 18h30
Lors de cette soirée, Wajdi Mouawad
échangera avec deux journalistes des rédactions
du Monde diplomatique et du Magazine littéraire autour
de la situation du Liban, à partir de lapproche
poétique et politique qui traverse son oeuvre.
entrée libre
réservation au 01 44 62 52 00 ou contactez-nous@colline.fr
Auditorium de lIMA 1, rue des Fossés
Saint-Bernard, Place Mohammed V
Paris 5e
Théâtre National de la Colline
15 rue Malte Brun 75 020 Paris
M° Gambetta
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Wajdi Mouawad a
choisi, pour la rencontre, le café du Quartier latin
où il fit halte au cours d'une fugue, dans sa vie d'adolescent
parisien. Comme si l'errance devait être inscrite d'emblée,
avant même que ce garçon à l'allure sage
ne commence le déroulé de sa vie - avant que l'on
ne commence, comme Loup, l'héroïne de sa pièce
Forêts, à essayer de recoller "les morceaux
d'un puzzle éparpillé".
Wajdi
Mouawad en tournée avec " Seuls " :
soi-même comme bercail
Printemps
2008- Wajdi Mouawad, seul
sur scène, seul avec son double ou ses " doubles
", toutes les éventualités, les possibilités
d'un être. Celui qui serait resté à Beyrouth,
enfant, adolescent, adulte, celui que son père aura transporté
au Canada pour lui offrir une vie meilleure, le privant d'une
langue, d'un jardin, d'un bonheur céleste.
Wajdi Halwan qui lutte pour être quelqu'un de bien, d'heureux,
dans un pays en paix et qui trébuche sur l'absence de
l'enfant qu'il a été, celui qui aimait la couleur,
les étoiles et son chien - et dont on a omis d'emmener
les jeux, les cadeaux de Noël, les tableaux qu'il avait
lui-même peints, parce que ce n'était pas essentiel
et que lorsqu'on part en exil, c'est l'essentiel
(mais quoi ? Des vêtements ? Les carnets scolaires ? Les
livrets de vaccination ?)
qu'on prend avec soi.
À Montréal, dans le froid, Halwan rédige
une thèse sur l'identité au travers de l'usage
du cadre dans le travail de Robert Lepage, cinéaste et
metteur en scène canadien. Tout son travail de recherche
aura eu pour but de comprendre comment l'uvre artistique
parvient, à partir d'un cadre fini, à nous déposer
ailleurs, à nous déplacer dans les infinies possibilités,
dans ce qui a été de tout temps et qui se transformera
pour donner sa couleur à tout ce qui advient.
Après avoir installé le décor (sa chambre
nue, sans âme, avec fenêtre), la situation (un chagrin
d'amour, une thèse sans conclusion, une sur complice,
un père qui l'attend souvent en vain les dimanches, à
la fois aimant et exilé de ce qu'il aime), après
avoir mêlé les langues, lutté contre la
passivité, la colère, l'inaction, la neige à
moins quarante, les mauvaises nouvelles, les imprévus,
la tentation de rester couché, d'en vouloir aux autres
- le père, la nouvelle patrie, le destin et les sillons
arbitraires, raisonnables, étouffants de l'avenir, le
personnage, l'auteur, la dramaturgie basculent au bout de près
de deux heures, prennent leur envol. C'est quand le personnage
se tait, enfin, que la pièce elle-même explose
de son cadre et se transforme en ce que rien n'annonçait
: une performance de plasticien. C'est subitement, tout simplement,
incroyable. Un ballet qui consiste à donner couleur à
un décor étonnant, un immense paravent dépliable
à souhait, fabriqué aux ateliers du théâtre
du Grand T à Nantes même et où se confondent
les figures de Halwan, du fils prodigue peint par Rembrandt
et de Mouawad qui se love ici dans le giron de son pays, explicitement,
afin de se retrouver lui-même.
La brillance technique de son corps, de la scénographie,
des lumières, de la peinture, nous amène forcément
et cyniquement à nous demander s'il ne valait pas mieux
vivre en exil, " produire " et avoir accès
aux structures et au savoir-faire canado-européens plutôt
que de rester à Beyrouth, durant toutes ces années
de maturation, à écouter la même musique
(Feyrouz, Abdel Wahhab et la musique originale d'assez mauvais
goût signée Michael Jon Fink, le seul bémol
!) qu'il nous a servie durant la pièce.
En tout cas, pour avoir établi un cadre parfait, une
gestuelle forcenée, des découpages de lignes,
de lumières, de sons, réglés au millimètre
et à la seconde près, Mouawad parvient à
offrir l'irremplaçable, la rare sensation d'échapper
aux lois du temps et de l'espace. En peignant la pure affectivité,
il se place en deçà de tout discours (identitaire,
familial, nostalgique, national, artistique) et décide
d'ignorer les bornes et les frontières, les limitations
imposées, imaginées, illusoires, posées
par les récits de la mémoire. Seule l'expression
compte, la sortie de soi, trouver le vocabulaire originaire
qui n'est pas celui des langues parlées. Cela seul permet
de convoquer en un lieu et en un temps ceux que nous sommes,
avons été et serons. On est moins seul, lorsqu'on
revient à soi.
Caroline
HATEM pour L'Orient Le Jour
*
" Seuls ", une pièce de et avec Wajdi Mouawad
au Grand T de Nantes.
En tournée jusqu'en janvier 2009 et au Festival d'Avignon.
Voir toutes les dates de la tournée
Il est devenu une présence
essentielle au fil des saisons, par ses récits bouleversants,
son monde prodigieux et effroyable, ses sagas magistrales
Incendies, Littoral, Forêts, Willy Protagoras enfermé
dans les toilettes. Wajdi Mouawad a un pouvoir infini, celui
dune langue façonnée par le rêve et
la révolte, par le regard entier de lenfance. Celui
aussi, dune poésie impérieuse. Libanais
dorigine, Français de formation et Montréalais
dadoption, le temps est venu pour ce conteur fabuleux
aux multiples vies dinterroger ce que devient la langue
maternelle lorsque tout se met à fonctionner à
travers une autre langue. Comment faire, quand pour redevenir
celui que lon a été, il faut redevenir quelquun
dautre ? Seul sur scène, il ne pouvait être
question dun autre que lui-même pour incarner Harwan,
étudiant montréalais dune trentaine dannées,
se retrouvant enfermé une nuit durant dans une des salles
du Musée de lHermitage à Saint-Pétersbourg.
La nuit sera longue, vertigineuse. Elle durera plus de deux
mille ans et lentraînera, à son insu, au
chevet de sa langue dorigine depuis longtemps oubliée.
Parcours
1968
Naissance à Deir El-Kamar (Liban).
1978
Arrivée en France.
1983
Sa famille émigre au Québec.
1999
Création de "Littoral" à Montréal.
2005
Molière du meilleur auteur dramatique francophone
pour "Littoral".
2006
"Forêts", au Théâtre 71
de Malakoff, jusqu'au 4 novembre.
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|
Personne,
dans son entourage, ne sait vraiment où vit Wajdi Mouawad. A
Paris ? A Montréal ? A Toulouse ? Quand on lui pose la question,
il répond qu'il vit "là où le travail le pousse"
: à Paris - mais à quelle adresse, nul ne sait - tant
que Forêts se joue à Malakoff. A Montréal, où
il va remonter sa pièce Incendies. A Moscou, où on lui
a commandé une mise en scène. A Bordeaux, où Dominique
Pitoiset, le directeur du théâtre, lui a proposé
d'écrire un texte pour lui. Et Toulouse ? Mystère.
"Il
prend l'avion comme moi le métro", constate, amusé,
Pierre Ascaride, le directeur du Théâtre 71 de Malakoff,
qui, en France, a été le premier, avec les Francophonies
de Limoges, à accueillir ses spectacles, en 1999. Comme si les
exils successifs avaient imprimé l'impossibilité de se
fixer. Pour ne pas subir, encore et encore, la douleur de la séparation
et le sentiment de la perte. Ne pas s'enraciner, pour ne pas se déraciner.
L'écriture comme seul ancrage.
Tout
cela traverse la petite dizaine de pièces écrites par
le jeune auteur metteur en scène, et notamment les dernières,
Littoral, Incendies et Forêts, qui forment un cycle de l'exil
et des origines au souffle extrêmement puissant. Wajdi Mouawad
n'y raconte pas sa vie. Mais ses identités multiples et successives
ont produit une interrogation sans équivalent dans le théâtre
francophone d'aujourd'hui sur les imbrications entre les histoires individuelles
et la grande histoire.
D'abord,
donc, il y a l'enfance : Beyrouth, au tournant des années 1960-1970.
Wajdi Mouawad naît dans une famille chrétienne aisée
- un milieu occidentalisé, très francophile : "Mais
mon père, qui venait de la montagne, a tenu à nous donner
des prénoms arabes. Nous étions les seuls, parmi nos cousins
et nos camarades de classe, à ne pas avoir de prénoms
français. Cela a sonné comme un rappel constant de mon
étrangeté. Un signe que je n'étais pas d'ici..."
Ce
prénom, Wajdi, qui signifie "mon existence" en arabe,
va signer définitivement cette étrangeté quand
la famille arrive à Paris en 1978, après quatre ans de
guerre. "Comme tous les Libanais, nous pensions que la guerre allait
se terminer rapidement et que nous repartirions." Le conflit s'éternise,
s'enlise. Les trois enfants Mouawad restent à Paris, avec leur
mère. Le père, qui a été ruiné par
la guerre, tente là-bas de sauver ce qu'il reste de ses affaires.
Wajdi
Mouawad est alors "un exemple parfait d'intégration réussie"
: excellent élève, entouré d'amis, capitaine de
l'équipe de rugby du collège. "Mais sans le savoir,
sans le dire, nous étions totalement défigurés
par cette guerre, par cet exil. C'est peut-être la grande illusion
des civils : croire que, parce que vous avez quitté un lieu en
guerre pour un lieu en paix, vous êtes sain et sauf." Cette
fugue qu'il fait à l'âge de 11 ans, au cours de laquelle
il s'arrête dans ce café parisien emblématique,
synthétise le malaise. "Le sentiment qui m'a éduqué,
c'est l'inquiétude de ma mère", dit-il aujourd'hui.
Cet équilibre relatif est encore brisé quand les parents
Mouawad décident, six ans plus tard, sans explications, d'émigrer
à nouveau, vers le Québec cette fois.
"Ce
nouvel exil a été extrêmement rude, avoue-t-il.
Je me sentais comme quelqu'un qui vient de survivre à une avalanche,
qui remonte à la surface et qui reçoit une nouvelle masse
de neige sur la tête."
Surtout,
"au fur et à mesure que je m'éloignais du Liban,
mon prénom devenait une chose qui s'étirait, se déformait,
perdait son sens, devenait l'objet d'abréviations", observe-t-il.
Années noires, lourdes, vides. Sa mère meurt, d'un cancer.
Mais c'est son visage brouillé, perdu, qui va être à
l'origine de son identité d'écrivain et d'artiste.
Il
commence à écrire à 16 ans. La recherche de ce
visage est au coeur de son écriture, dans ses pièces comme
dans son unique roman, qui s'intitule d'ailleurs Visage retrouvé
(éd. Actes Sud, comme ses pièces). "Prenez un enfant
dont le jouet préféré se casse. Il essaie de recoller
les morceaux, mais ce n'est jamais tout à fait comme avant. Maintenant,
poursuit-il, en conteur de sa propre histoire, imaginez que ce n'est
pas le jouet qui se casse, mais sa conviction profonde que le monde
dans lequel il vit est beau et merveilleux. La peine qu'il en éprouve
est tellement profonde qu'il en a pour la vie à essayer de recoller.
Et à chaque tentative, cela donne une pièce de théâtre..."
Aujourd'hui,
son passeport est canadien. Mais quand on le tarabuste pour savoir s'il
se sent plutôt "libanais, français ou québécois",
il répond qu'il est juif. Ou tchèque. Parce qu'il se sent
plus proche de Kafka que de n'importe qui. "Et parce que j'écris.
L'écriture et l'exil ont partie liée, depuis toujours."
Quand
la guerre a de nouveau éclaté au Liban, cet été,
cela l'a "mis en morceaux". Il s'est senti tenu, vis-à-vis
de la communauté libanaise de Montréal, de prendre la
parole - le texte de son intervention a été publié
dans Courrier international du 3 août. Non pour émettre
une position politique - "Je ne voulais surtout pas singer les
politiciens qui prétendent comprendre la situation" -, mais
pour tenter de "cerner l'impuissance et le désarroi qu'il
y avait à se retrouver dans ce choix impossible : celui de la
haine ou celui de la folie".
En
France, où il est demandé partout, difficile aujourd'hui
de trouver des détracteurs du travail de Wajdi Mouawad. Les résistances
des premières années - certains trouvaient ses spectacles
trop narratifs, et "donc trop faciles" - sont tombées
devant ce théâtre qui fait de la scène un lieu de
haute intensité émotionnelle. Sa puissance narrative et
poétique, à l'issue du long voyage proposé par
Wajdi Mouawad, laisse les spectateurs de Forêts, à Malakoff,
comme ce fut le cas pendant toute la longue tournée en France,
bouleversés, en larmes, ovationnant longuement le spectacle.
Reconnaissants de ce que ces odyssées du temps présent
ébranlent dans leur histoire intime.
Fabienne
Darge
Article paru dans Le Monde-édition
du 28.10.06
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